La Destruction de  la Nativité par Emile Nau (1812-1860)

Extrait  de l’Histoire des caciques dHaïti de Nau. Nau était un grand intellectuel haïtien  et homme politique qui est retourné  au pays  au moment  où Jean-Pierre Boyer était  président  d’Haïti.
La flottille était à l’entrée de la baie d’Acul lorsqu’un calme plat la surprit dans la nuit du 25 décembre. L’Amiral venait de quitter le pont pour aller prendre un peu de repos. Tous les autres marins s’étant aussi endormis, le timon fut abandonné à un novice. Ce parage était semé de récifs et de bancs de sable et, à la distance de deux milles environ du rivage où l’on était,  on entendait rugir les brisants. Tout à coup, le novice, sentant la barre du gouvernail engagée, se mit à crier. Les courants avaient entraîné le navire sur un banc. L’équipage fut en un instant sur pied; mais, pensant plutôt à fuir le danger qu’à le conjurer, il n’exécuta rien de ce qu’avait commandé l’Amiral. Bientôt le bâtiment pencha d’un côté et s’ouvrit par les coutures. Les eaux s’y précipitèrent. Il fallut l’abandonner. Il submergea.

Comment aurait- il pu ramener cet équipage en naufragé? Les Européens, d’ailleurs, qui, depuis l’événement, avaient été laissés à terre, demandaient à y rester. Ils étaient tellement et sitôt amollis, que rien ne semblait pouvoir les arracher désormais aux charmes et à la nonchalance de la vie indienne.

Le projet de Colomb, approuvé par Guacanagaric, de construire une forteresse pour la résidence des Espagnols, concilia la difficulté. Les matériaux étaient abondants pour cette construction. On y employa les débris et tout l’armement du bâtiment naufragé. Les travaux furent poussés avec activité, et un fort, surmonté d’une haute tour, fut bientôt élevé. L’Amiral lui donna le nom de La Nativité pour commémorer le jour de son arrivée dans ce lieu. Il y plaça trente-neuf hommes sous le commandement de plusieurs officiers de confiance… Il leur recommanda vivement d’obéir à leurs chefs; de n’oublier jamais le respect et la déférence qu’ils devaient au Cacique et aux autres chefs indiens.

Colomb  était à peine parti que ses recommandations furent oubliées. Les Espagnols de La Nativité s’abandonnèrent aux plus coupables excès. La désobéissance et l’indiscipline s’étaient introduites dans leur rang.

Caonabo, le fier Cacique de la Maguana, qui s’en prenait surtout à Guacanagaric d’avoir désigné le Cibao à la cupidité des Espagnols, se mit à la tête d’une ligue contre lui, et jura en même temps la perte de ses alliés.

Caonabo les fit saisir et mettre à mort sous ses yeux. Cette circonstance hâta l’exécution de ses desseins. Il réunit de suite une troupe nombreuse d’Indiens, et se dirigea vers  La Nativité. Rien n’avait transpiré de sa longue marche à travers les montagnes et les forêts. Il envahit de nuit la bourgade de Guacanagaric et la forteresse, où il entra et massacra onze Espagnols plongés dans le sommeil et la plus entière sécurité. Les autres périssaient en même temps dans les flammes qui consumèrent les maisons attenantes au fort, dont les remparts et la tour furent aussi réduits en cendres.

Le désastre de La Nativité fut le signal de la lutte entre les conquérants et les Aborigènes. Il  affligea profondément Colomb.

La capture de Caonabo  fut en effet l’événement le plus heureux et le plus important qui put arriver à la colonie. Mais ce qui flattait surtout l’orgueil des Espagnols, ce qui exaltait leur admiration c’étaient l’adresse et l’audace mises à tenter l’exploit, et le bonheur de l’avoir accompli…. Aucune faiblesse ne déshonora sa captivité. Il se vantait d’être l’ennemi des Espagnols! Il ne montrait nul repentir, pas même un regret   pour La Nativité, quand on le lui reprochait.

Un navire, dans le port d’Isabelle était prêt à faire voile pour l’Espagne: Caonabo y fut embarqué. Assaillie par une violente tempête non loin des côtes d’Haïti, cette embarcation sombra avec le royal prisonnier.