Colonie et Métropole par Gene Ogle
Ogle est professeur assistant d’Histoire à John Cabot University à Rome, Italie. Il est un expert du monde atlantique et il est en train d’écrire un livre sur la race, la violence et l’honneur à Saint Domingue.
Durant la dernière moitié du dix- huitième siècle, Saint Domingue devint la colonie la plus importante de la France et un objet de convoitise de la part des autres puissances impériales de l’Europe, à l’égard du remarquable développement de son économie de plantation. Comme montré dans le tableau ci-dessus et à gauche, vers 1780, la colonie était un puissant exportateur de sucre, de café avec d’autres denrées et importait d’énormes quantités de marchandises françaises et des esclaves capturés par la France. Selon les estimations les plus sûres, au cours de cette décennie, la colonie recevait 2/ 3 de tous les investissements français à l’étranger, et ses exportations annuelles valaient entre 150 et 170 millions de livres. En 1789, l’année au cours de laquelle le tableau a été dressé, la valeur reconnue de ces exportations était de 162, 994,367 livres. Pour mettre cela en perspective, durant l’année 1780, un ouvrier qualifié gagnait en France 500 livres par an. Durant la même décennie , en nous basant sur le Trans-Atlantic Slave Trade Database, la colonie recevait approximativement 27,3% de tous les esclaves africains (192,494 sur un total de 706,400) transportés à travers l’océan Atlantique, et tandis que certains sont venus en contrebande sans être mentionnés dans les sources françaises , il faut signaler que la grande majorité de ces esclaves furent transportés par des esclavagistes français. De cette façon, Saint Domingue fut une source première de la prospérité des ports français de l’Atlantique comme Bordeaux, Nantes, et indirectement de toute l’économie française.
Si le commerce colonial avait lié la France et Saint Domingue, les relations économiques entre colonie et métropole étaient une grande source de discorde. Comme résultats des risques inhérents dans la production des denrées agricoles pour des marchés imprévisibles combinés avec le besoin d’un haut niveau de capital d’ investissement pour tenir les plantations en état de fonctionnement les planteurs tendaient à tomber dans un lourd processus d’ endettement envers les marchands métropolitains. A leur tour, ces marchands se retrouvaient dans des difficultés pour réclamer ces dettes. La législation royale visait à maintenir les plantations intactes (pour qu’elles soient profitables à long terme) et ceci conduisait à une situation d’impasse. Ainsi, la colonie dut faire face à une rareté des produits qu’elle ne pouvait trouver à travers le commerce avec la France. Plus significatif encore, il y eut des divisions entre les intérêts coloniaux et métropolitains qui se voyaient comme exclusifs, et des tentatives de la Couronne qui tenta, après une libéralisation très modérée du commerce extérieur dans les années 1780, de limiter le commerce avec des marchands non- français. Durant tout le dix- huitième siècle, les colonialistes tentèrent sans succès de convaincre la monarchie française d’abolir le système de l’exclusif, même, à certains moments en faisant des protestations ou en entrant en rébellion. Cette tournure périodique à la rébellion souligne une autre caractéristique de la relation impériale car depuis que la France était dirigée, du moins en théorie par une monarchie absolue, il n’y avait tout simplement pas d’espace politique légitime pour une contestation de la politique impériale.