Les Marrons par Jean Fouchard (1912-1990)
Un extrait du livre de Fouchard Les Marrons de la liberté (1972), traduit en anglais par A. Faulkner Watts. Fouchard était un historien haïtien de renom, journaliste et diplomate. Son livre a eu le Grand Prix Littéraire Caraïbes.
Saint-Domingue était un moulin dans lequel les esclaves aussi bien que la canne étaient broyés. Elle était le principal terrain d’inhumation du commerce d’esclaves. La colonie « dévorait » ses esclaves à un rythme ahurissant pour lequel ni l’arrivée continuelle et massive des bateaux négriers, ni le taux bas de la natalité ne purent satisfaire.
Le Code Noir [français] avait établi des punitions permises aux maîtres. Il prévoyait un rang de peines incluant celle de la mort pour un esclave qui avait frappé son maître ou un homme libre, ou encore qui avait commis « de vols reconnus ». Protégé par une telle politique, le propriétaire d’esclaves Saint Martin l’Arada a pu assassiner impunément deux centaines de ses esclaves ; le propriétaire Caradeux a pu de la même façon enterrer des esclaves vivants, et le propriétaire Gareshé, a maintenu un esclave en chaînes pendant vingt- cinq ans.
Les marrons, utilisant toutes les ressources à leur portée, réalisent leur fuite le jour et la nuit, par petites embarcations, en montures ou à pied, par terre ou par mer, individuellement ou en groupes.
Les groupes de fuyards furent par familles, mères et enfants, maris et concubines, ou la famille entière, ou même un groupe d’esclaves où différentes nations [africaines] se joignirent pour une fuite collective. Presque toujours, c’était durant la nuit que les champs d’esclaves et les lieux de travail des esclaves se vidaient. Les maisons d’esclaves qui n’étaient pas pourvues d’un système de surveillance, se vidaient en plein jour pendant que l’esclave était envoyé faire une commission. L’esclave pouvait, le jour même de sa fuite, tuer un cochon qu’il élevait depuis des mois. C’était une ruse intelligente pour ne pas éveiller des suspicions. D’autres qui savaient lire pouvaient écrire de fausses lettres disant que leurs maîtres les avaient envoyés dehors pour réaliser un travail quelconque.
Les Marrons rejoignaient les esclaves en révolte. Par conséquent, les esclaves en révolte devenaient de nouveaux Marrons et ne restaient pas isolés, mais se mettaient en mouvement pour grossir les bandes existantes de Congos, de Nagos et d’autres « nations » en recréant à Saint Domingue la tradition africaine des bandes guerrières groupées selon leur origine tribale.