La Lutte pour l’égalité par Sibylle Fischer
Fischer est professeur associé au Département de Langue et de Littérature espagnole et portugaise à New York University. Elle est l’auteur de Modernity Disavowed: Haiti and the Cultures of Slavery in the Age of Revolution/La Modernité désavouée : Haïti et les cultures de l’esclavage à l’Age de la Révolution (2004).
Le 26 août 1789, l’Assemblée Nationale Française adopta la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen. Le premier article proclame que « tous les hommes naissent libres et égaux en droits ». En dépit de son audace, la signification et la portée de cet article sont loin d’être claires. A –t-il une valeur d’injonction contre l’esclavage ? Ou encore une garantie d’égalité des droits pour tous les citoyens sans aucune considération de couleur ? Est –ce qu’il s’applique aux colonies françaises dans lesquelles vit la majeure partie de ceux qui peuvent réclamer la liberté ? Confrontée à ces questions, l’Assemblée tergiversait en France. Cela lui prit encore trois années avant qu’elle garantisse l’égalité des droits aux gens de couleur libres. L’esclavage n’a pas été aboli jusqu’au 4 février 1794. Quand la France prit finalement cette mesure d’émancipation par une loi, elle le fit parce que ceux qui avaient été mis en esclavage avaient déjà pris leurs destinées en leurs propres mains.
La lutte pour l’égalité par les gens de couleur libres avait débuté plusieurs années avant la déclaration de 1789 et n’avait point inclus au début des aspects anti- esclavagistes. A la fin du 18ème siècle, Saint Domingue était devenu le lieu d’habitation d’une grande population de gens de couleur libres qui incluait un groupe relativement petit, mais influent de propriétaires d’esclaves et de propriétaires d’habitations de taille. Tandis que le fameux Code noir de 1685 avait fourni le cadre légal pour la structure de la domination raciale soutenant la plantation esclavagiste, il avait aussi postulé, au sein de certaines limites, que les gens de couleur libres avaient les mêmes droits que les blancs. Ce statut quelque peu ambigu des gens de couleur libres s’est retrouvé sous pression au cours des années 1760 quand une vague de nouvelles lois furent publiées en vue de restreindre les opportunités d’emploi, les formes de participation politique et même l’usage des titres honorifiques des noms de familles françaises. D’une façon ou d’une autre, ces lois furent appliquées strictement. Elles menaçaient de séparer, de diviser la société créole sur le plan des lignes raciales. Au milieu des années 1780, Julien Raimond, un planteur métis de Saint Domingue, alla en France pour plaider la cause des gens de couleur libres. Quoique les premiers rapports de Julien Raimond présentent les gens de couleur libres comme les garants d’un système stable d’esclavage et que les arguments contre l’institution de l’esclavage avaient été écartés, Raimond rencontra une vigoureuse opposition de la part du lobby des planteurs à Paris et dans l’Assemblée qui ne voulait pas se prononcer sans aucune ambigüité sur la question raciale ou encore sur la question de la représentation politique des gens de couleur libres. Frustré par l’échec de Raimond pour réaliser des progrès tangibles à Paris, Vincent Ogé, un autre homme de couleur libre qui avait participé dans la lutte révolutionnaire à Paris, décida de prendre les armes. En octobre 1790, il retourna à Saint Domingue et lança une petite rébellion. Quoiqu’ Ogé n’avait pas soulevé les esclaves pour sa cause et n’avait pas appelé pour l’abolition de l’esclavage, la rébellion fut écrasée avec la plus grande brutalité. Le corps d’Ogé fut brisé sur une roue sur la place publique du Cap.
Bien qu’elle ait échoué, la rébellion d’Ogé eut beaucoup d’impact dans la colonie, les antagonismes entre les blancs et la population de couleur avaient atteint un niveau de violence jamais vu avant. A Paris, l’Assemblée s’était trouvée elle – même divisée dans des débats haineux sur les questions coloniales, adoptant et rétractant des demi-mesures qui ne firent qu’ajouter aux tensions à Saint Domingue. Cela prit à la France encore une année avant qu’elle adoptât la loi du 4 avril 1792 qui garantit la pleine égalité aux gens de couleur libres. Entre temps, l’insurrection massive des esclaves des 22 – 23 août 1791 avait complètement changé les données.