L’Expédition de Leclerc  par  Charles Forsdick

Forsdick  est professeur  de Français à   University of Liverpool. Il a écrit et édité de nombreux livres  tels que Victor Segalen and the Aesthetics of Diversity: Journeys between Cultures/  Victor Segalen et l’Esthétique de la diversité : voyages entre cultures  (2011) et Postcolonial Thought in the French-Speaking World /  Pensée post-coloniale dans le monde francophone  (2009).

A la fin de 1790, le retour de Saint-Domingue à une  stabilité relative permit  à Toussaint Louverture d’implémenter  une série de politiques  permettant la reconstruction de  l’économie de  plantation, avec  les anciens esclaves transformés en cultivateurs à qui la liberté néanmoins accordée était strictement  réduite. Quoiqu’impopulaire et  faisant face à une série de révoltes, le système de la plantation ré – installé  fut  plus tard consolidé par la constitution de 1801 de Toussaint dans  laquelle ses pouvoirs furent agrandis tel qu’il se  fit gouverneur à vie. Avec le  coup d’Etat du18 brumaire (en 1799), Napoléon Bonaparte avait renversé l’opposition et s’était proclamé  lui – même Premier Consul. Dans  le contexte de ces  mouvements, il interpréta la montée  de l’autorité politique de Toussaint Louverture  comme une  attaque personnelle directe.

Comme l’Europe retournait temporairement à la paix  (le Traité d’ Amiens  serait signé en mars 1802), une portion de l’armée française était disponible pour une mission transatlantique en vue de vaincre Toussaint et de rétablir l’ancien ordre colonial à Saint-Domingue. Sous le commandement du Général Charles Victor-Emmanuel Leclerc (allié  politique de Napoléon et son beau – frère), une  expédition militaire comprenant au départ 20, 000 hommes de troupe (incluant plusieurs des  opposants politiques de Toussaint, tout comme ses deux  enfants   scolarisés en France)  quitta les ports atlantiques de la France en décembre 1801 ;   elle arriva au Cap – Haïtien, - alors Cap -  Français)  au mois de février de l’année suivante. Pamphile de la Croix  rappelle les  supposées réactions de Toussaint en  observant cette armada : « c’est la France entière  qui est venue à Saint Domingue […] Elle  vient pour se venger et forcer les noirs à retourner en esclavage ».   

Bien que l’armée de Toussaint ne fût pas unie, et que plusieurs généraux se fussent immédiatement ralliés à Leclerc, la résistance fut forte : le Cap – haïtien  lui – même fut rasé et  Louverture attira les Français à l’intérieur de Saint-Domingue où ses troupes combattaient avec grand engagement, notamment à   la  fameuse défense de la Crête  - à – Pierrot, avant de se rendre finalement en  avril 1802. 

Dessalines  et  Henry Christophe firent leur allégeance aux Français et Toussaint, - une menace aussi longtemps qu’il resterait dans la colonie -,  fut attiré dans un piège, arrêté et emprisonné en France,  où  il mourut au  Château de Joux en avril 1803.

Pendant ce temps, la nouvelle du rétablissement de l’esclavage en Guadeloupe par l’expédition de Richepanse en  mai 1802 rendit claires les intentions  de Bonaparte, et quand Leclerc mourut de la fièvre jaune en novembre 1802, les tactiques brutales de son successeur Rochambeau  firent plus tard  unifier  les  armées noires et  mulâtres en une nouvelle résistance  contre les Français. 

Rochambeau  fut  vaincu plus tard par l’Armée de  Dessalines — sous  le commandement de François Capois— à  la bataille de Vertières  le 18  novembre 1803, après que les restants de l’armée française, affaiblis par les ravages de la fièvre jaune dans leurs rangs, capitulèrent et se  mirent d’ accord pour  évacuer la colonie.

Dans ses  efforts désespérés pour réimposer l’autorité de  la France à Saint-Domingue, Napoléon avait perdu des troupes  et des marins valables,  et conséquemment,  exprima  un profond regret des décennies après dans ses  Mémoires sur sa décision de lancer l’expédition. Le  1er  janvier 1804, Dessalines proclama formellement  l’Indépendance d’Haïti, en mettant effectivement fin à l’ambition de Napoléon de rétablir une forte présence coloniale de la France dans les Amériques.