Le Génocide de Rochambeau par Graham Nessler
Nessler est professeur assistant par Intérim au Texas A&M University-Commerce. Il a publié des travaux sur le rétablissement de l’esclavage à Saint Domingue et sur l’abolition de l’esclavage avec le New West Indian Guide. Il publiera sous peu un livre sur le même sujet.
A la fin de 1801 et au début de 1802, Napoléon Bonaparte envoya une forte expédition à Hispaniola avec l’objectif de renverser le régime de Toussaint Louverture et d’unifier l’île sous l’autorité de Paris. Bien que la décision de Napoléon d’envoyer cette expédition fît partie de sa rivalité avec Toussaint, le Premier Consul espérait aussi que cette reconquête de l’île lui fournirait une tête de pont à partir duquel la France pourrait étendre son influence dans [tout] l’hémisphère. Néanmoins, la combinaison fatale de la résistance des insurgés avec les maladies tropicales mit en échec les espérances des envahisseurs d’une victoire rapide. En dépit de quelques triomphes du début, les troupes de Napoléon souffrirent un grand choc quand le Général Charles Leclerc, le chef de l’expédition, succomba de la fièvre jaune en novembre 1802. Le remplaçant de Leclerc fut le Général Donatien Marie Joseph de Rochambeau, un officier militaire vétéran et ancien gouverneur de Saint Domingue et de la Martinique.
Au début de 1802, Napoléon avait partiellement révoqué la loi d’émancipation générale de 1794, ce qui transforma ses expéditions aux colonies clés comme Saint Domingue et la Guadeloupe en des campagnes de rétablissement de l’esclavage. C’est un tournant qui conduit des milliers de personnes à se battre désespérément contre ces expéditions en vue d’éviter un retour à la servitude. Convaincu que la crise d’ Hispaniola ne pouvait être résolue seulement par un massacre de masse, Rochambeau entreprit de massacrer la majorité des civils non blancs et de la population militaire. Sous sa direction, les Français importèrent des centaines de chiens d’attaque de Cuba qui furent à la fois utilisés dans la guerre contre insurrectionnelle et dans des spectacles grotesques au cours desquels des prisonniers infortunés et des servants furent mangés vifs. Rochambeau déploya alors une cruauté exceptionnelle de nombreuses autres façons, comme par le massacre de troupes ennemies après qu’elles s’étaient rendues, brûlant les hommes et les femmes vifs et exécutant de nombreux soldats et des civils par la torture et la noyade.
En dépit du racisme de Rochambeau, son armée avait employé de nombreuses troupes de couleur qui avaient contribué à des victoires importantes comme la reconquête du poste crucial de Fort – Dauphin / Fort Liberté des rebelles en décembre 1802 et la défaite des marrons transfrontaliers de Maniel au début de 1803. Néanmoins, les tactiques brutales de Rochambeau et son intention déclarée de restaurer l’esclavage convainquirent éventuellement la majeure partie de la population de l’île que les Français leur offraient seulement l’esclavage et un nouveau régime de racisme institutionnalisé. Jusqu’à la fin du printemps de 1803, la Guerre de l’Indépendance haïtienne fut en fait beaucoup plus un conflit entre les « factions rebelles » qu’une guerre entre les Français et les insurgés. Confrontés toutefois avec les atrocités de Rochambeau, ces factions - qui inclurent divers groupes de marrons, anciens partisans de Toussaint, des ennemis vaincus d’André Rigaud et de beaucoup d’autres -, se regroupèrent autour de Dessalines, ancien second – commandant de Toussaint.
Dans un effort désespéré pour abattre ces nouvelles forces unifiées, qui s’appellent-elles – mêmes « armée indigène », Rochambeau procéda à des recrutements forcés de troupes de Santo Domingo, ce qui provoqua de larges désertions et de l’hostilité. Rochambeau n’eut vraiment pas de chance avec les Anglais qui assurèrent définitivement la défaite de la France à Hispaniola quand ils mirent fin --dans leur paix temporaire avec la France en 1803 avec le retour du blocus naval qui coupait les troupes françaises [à Saint Domingue] – à des renforcements et [ravitaillements] de la France. De plus, la faillite des Français pour payer de grandes sommes d’argent qu’ils avaient emprunté de puissants emprunteurs à Cuba et ailleurs avait ruiné le crédit des Français à Saint Domingue et accéléré par conséquent leur chute.
Isolées, mal manœuvrées, en proie à la banqueroute morale et économique, les forces de Rochambeau connurent leur défaite finale en novembre 1803. Napoléon avait envoyé entre 44,000 et 48,000 hommes à Hispaniola entre la fin de 1801 et le printemps de 1803. A la fin de cet été, seulement sept mille hommes restaient, avec deux ou trois mille mourant chaque mois. L’échec de la tentative génocidaire de Rochambeau pour installer la domination française devint officiel en janvier 1804 quand Dessalines redonna à Haïti son ancien nom indigène d’Haïti. Néanmoins, Jean – Louis Ferrand, un survivant de l’expédition française, établit un régime à Santo Domingo qui, la même année, tenta de rétablir l’esclavage et d’écraser la nouvelle nation d’Haïti. Ce régime dura jusqu’ à l’expulsion des Français de Santo Domingo en 1809.
Il est difficile d’estimer la quantité d’hommes, de femmes et d’enfants tués par les forces de Rochambeau. Ses troupes massacrèrent des milliers de gens, principalement des descendants des Africains, tandis que la privation et les maladies avaient emporté une bonne partie d’entre eux. Le « génocide de Rochambeau » reste synonyme des pires excès de la guerre coloniale en Haïti et il sert encore comme un souvenir d’un coût très élevé payé en vue de préserver l’hémisphère d’une émancipation générale des esclaves.