"​​​Réactions américaines par Michael J. Drexler

Drexler est professeur associé d’Anglais à Bucknell University à Lewisburg, Pennsylvanie. Il a écrit plusieurs articles sur Haïti et a publié une nouvelle édition de Secret History or the Horrors of Saint Domingo de Leonora Sansay / Histoire secrète ou les Horreurs de Saint Domingue de Leonora Sansay (2007).

À ses débuts, la rébellion des esclaves à Saint-Domingue fut comprise dans le contexte d’une résistance intermittente mais durable des esclaves dans tout l’hémisphère occidental. Le système des plantations, toujours plus industrialisé et déshumanisant, exacerbait la misère humaine et catalysait des projets de révolte plus ambitieux. Les idéaux révolutionnaires de la victorieuse Révolution américaine et les prémisses d’un renversement de la monarchie en France ont peut-être aussi inspiré les révoltes d’esclaves et ont certainement affecté la manière dont les planteurs, les agents de l’État et le public réagirent aux luttes armées de la fin du 18ème siècle, visant à abolir l’esclavage colonial. Il ne faut pas non plus sous-estimer la compétition entre les différents empires, dans le but de s’accaparer les ressources du Nouveau Monde qui modifiait la manière dont un Britannique, par exemple, percevait les luttes raciales selon qu'elles étaient signalées à Saint-Domingue, territoire français, ou en Jamaïque britannique. De cet amalgame confus de déterminants souvent contradictoires émergea un ensemble de réactions complexes et variées face à l'île d'Haïti pré-indépendance.

Dans la Philadelphie post-révolutionnaire, par exemple, les planteurs français loyalistes réfugiés rencontrèrent à la fois sympathie et méfiance. L’esclavage était en cours d’abolition au Nord des États-Unis dans les années 1790, mais voilà qu'arrivaient des émigrés esclavagistes déchus, ayant perdu tous leurs biens et sollicitant la légendaire générosité de la ville. Certains blâmaient la révolte de Saint-Domingue pour ce qui semblait l’un des objectifs les plus extrêmes de l’Assemblée générale française - l’abolition de la religion. D'un autre côté, ceux qui étaient plus favorables à la Révolution française voyaient dans la transformation de Saint-Domingue une extension positive de ses idéaux. Abraham Bishop rédigea « The Rights of Black Men » [Les droits des noirs] en 1791. Les Américains, écrivait-il, « pensent que la Liberté est un droit naturel de tous les êtres doués de raison, et nous savons que les noirs n’ont jamais renoncé volontairement à cette liberté. »

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Peu de sudistes, toutefois, souscrivaient à ces opinons dangereuses. Les éditeurs de journaux du Sud hésitaient même à rendre compte des révoltes d’esclaves, de peur que l’information n'apporte soutien et inspiration à leurs propres populations maintenues en esclavage. Secret History (1808) de Leonora Sansay décrit une réaction plus répandue aux violences dans les Caraïbes : les récits d’atrocités - les Horreurs de Saint-Domingue – s'accompagnaient d'histoires d’esclaves fidèles, protégeant les biens, la vertu ou la vie de leurs maîtres.

Alors qu’Haïti progressait vers l’indépendance, des portraits célébrant Toussaint Louverture apparurent en Angleterre et en Amérique. Loué pour avoir organisé les anciens esclaves afin qu’ils mettent la légion française en déroute et pour avoir stabilisé les relations commerciales avec les États-Unis en dépit de l’embargo français, Toussaint constituait une alternative moins menaçante qu’un front napoléonien élargi à l’Ouest. Aux yeux des abolitionnistes, c’était un héros. Cependant, les États-Unis ne reconnurent l’indépendance haïtienne qu'après la fin de la guerre civile et la crainte que les horreurs de Saint-Domingue ne gagnent le Sud de l’Amérique domina l’opinion populaire au cours de la première moitié du siècle.