Oubliés par les Etats-Unis  par Placide David

Placide David était un historien qui a aidé à la création de la Société d’Histoire et de Géographie d’Haïti.Son livre Sur les rives du passé (1947) a obtenu le Grand Prix de littérature des Antilles. Dans l’extrait ci-dessous David rappelle comment des Américains tels que le Sénateur Rufus King ont célébré le commerce lucratif qui approvisionna  Dessalines et la Révolution haïtienne. Ayant fini leur Presque Guerre contre la France, cependant, les Etats-Unis étaient réticents à continuer le commerce avec Haïti parce qu’il aurait antagonisé Napoléon. Comme il est devenu évident avec l’achat de la Louisiane en 1803, la paix avec la France a bien servi les Etats-Unis.

Dessalines mit une hâte fébrile à emplir les arsenaux et les dépôts  de l’armée et à garnir nos cimes de fortifications. Ce fut ainsi que le 4 septembre 1804, il se rendit de Marchand aux Gonaïves, où, à bord de la frégate Le Connecticut, il rencontra un agent de commerce américain avec lequel il signa un contrat de fournitures consistant en poudres, draps, toiles, habillement de troupes, etc. En exécution de cet accord, des convois de navires à la consignation du gouvernement vinrent quelques semaines plus tard, débarquer sur nos quais leurs cargaisons de guerre et reçurent en échange du café et d’autres denrées. Les négociants et les armateurs yankees firent des affaires d’or. Et ils ne ménagèrent point leurs louanges au jeune Etat nègre qui les payait si généreusement. Le 18 mai 1805, le retour d’un de ces convois était l’occasion de brillantes fêtes dans la rade de New-York. Un banquet de cent couverts réunissait à bord de l’Indostan les plus hautes personnalités de la ville parmi lesquelles on remarquait l’honorable Rufus King…. Des toasts, salués par des salves d’artillerie du bord furent portés au gouvernement d’Haïti.

[Le Ministre français des Affaires étrangères Charles Talleyrand adressa au général Armstrong, ministre plénipotentiaire des Etats-Unis à Paris, une note énergique de protestation qui resta sans effet. Les Américains n’étaient point disposés à renoncer à leur commerce lucratif avec Haïti. Toute l’année se passa en échange de notes entre les deux chancelleries. Plus Talleyrand se montrait pressant et catégorique, plus son partenaire lui opposait des arguments évasifs et dilatories. Cependant, au mois de décembre, éclata le coup de tonnerre d’Austerlitz. La troisième coalition était aux abois. Si l’Angleterre acceptait de faire la paix c’était la liberté des mers. Et les Etats-Unis se trouveraient livrés à la fureur du Corse, trop longtemps berné par eux. Il fallait agir et vite pour prévenir ce malheur. Or, si bien disposés et si empressés que se montrassent le Congrès et le président Thomas Jefferson, le vainqueur de l’Europe était décidé à les  punir. Non seulement il exigea que le commerce américain avec Saint-Domingue fût déclaré interdit, mais il fit remettre au Département d’Etat le texte même du b projet de loi d’interdiction que le Congrès devait voter et qu’il vota sans modification le 28 février 1806.