La Révolution haïtienne et l’achat de la Louisiane  par Paul Lachance

Lachance est professeur au Département d’Histoire de l’Université d’Ottawa. Il a écrit de nombreux articles sur l’esclavage, Haïti et le territoire de la Louisiane.

Tout comme le succès de la Révolution américaine a de nombreux liens avec la perte du premier empire colonial français en 1763, la Révolution haïtienne constitue un élément essentiel des développements qui aboutirent à doubler la superficie du territoire de la nouvelle nation par l’achat de la Louisiane en 1803. Peu après son accession au pouvoir, Napoléon entreprit de reconstituer un empire français en Amérique - en signant en secret en 1800 le Traité de San Ildefonso, par lequel l’Espagne acceptait de rétrocéder à la France le territoire à l’Ouest du Mississippi que celle-ci lui avait cédé en 1763. Puis, profitant du traité d’Amiens qui mettait un terme à la guerre avec l’Angleterre, trois expéditions militaires furent organisées en 1802 : 35.000 soldats pour destituer Toussaint Louverture et rétablir le contrôle de la métropole sur Saint-Domingue, 3.500 pour pacifier la Guadeloupe et 3.000 pour prendre possession de la Louisiane. La troisième expédition ne partit jamais. L’ordre de sa démobilisation arriva le 2 mai 1803, deux jours après la signature à Paris du Traité de Vente de la Louisiane.

Selon le dessein de Napoléon pour l’Ouest, les Antilles françaises allaient à nouveau produire et exporter sucre, café, indigo et coton vers les marchés de France et d’Europe. La Louisiane jouerait un rôle secondaire, fournissant denrées alimentaires et bois de charpente aux colonies des Caraïbes, évitant ainsi de dépendre du commerce illicite avec l’Amérique du Nord britannique qui faisait un objet de risée du « Principe de l'exclusif » dans l’empire de l’Ancien régime. C'est là qu'il faut voir la connexion entre la Vente de la Louisiane et la Révolution haïtienne. Face à l’échec de la contre-révolution de Napoléon à Saint-Domingue, le retour de la France en Louisiane n’avait plus de raison d’être. Pour empêcher sa conquête par la Grande-Bretagne à la reprise de la guerre, qui se produisit effectivement en mai, Napoléon prit la spectaculaire décision de vendre la totalité de la colonie aux États-Unis.

D’après les comptes-rendus du général Leclerc, beau-frère de Napoléon et commandant de l’expédition à Saint-Domingue, la situation était manifestement devenue désespérée en juillet 1802, lorsque les informations sur la mise en œuvre des édits rétablissant l’esclavage et réactivant le commerce des esclaves en Guadeloupe atteignirent Saint-Domingue, provoquant une résistance massive alors que des milliers de soldats européens mouraient de la fièvre jaune. Peu avant de succomber lui-même à cette maladie le 2 novembre, il écrivit que son dernier espoir résidait dans une stratégie de terreur et de génocide. « Il faut détruire tous les nègres des montagnes, hommes et femmes, ne garder que les enfants au-dessous de douze ans, détruire moitié de ceux de la plaine et ne pas laisser dans la colonie un seul homme de couleur qui ait porté l’épaulette. » Bien que l’armée française ne se soit repliée de Saint-Domingue qu'à la fin de 1803, la décision de Napoléon en avril de vendre la Louisiane aux États-Unis suggère qu’il désespérait déjà de renverser la Révolution haïtienne et de restaurer l’empire colonial français de l’autre côté de l’Atlantique.