Christophe et le Royaume du Nord  par Nathalie Pierre

Pierre est doctorante au Département d’Histoire à New York University. Sa thèse étudie Haïti après l’indépendance.

Henri Christophe était un des principaux généraux de la Révolution haïtienne (1791-1803). Après l’assassinat de l’empereur Jean-Jacques Dessalines en 1806, Christophe s’attendait à ce que les règles de la hiérarchie militaire le propulsent à ce poste. Malheureusement pour Haïti, les préjugés raciaux des riches descendants des Français firent obstacle à un gouvernement dirigé par un ancien esclave noir. Ils tentèrent d’inclure Christophe dans un gouvernement républicain qui aurait en fait restreint sa fonction, lui enlevant tout véritable pouvoir décisionnel. Christophe refusa et déclencha une guerre civile (1807-1810) contre eux et contre leur leader Alexandre Pétion. Faute de réel vainqueur ou vaincu, ils décidèrent de diviser l’État-nation en deux territoires souverains : le royaume de Christophe au Nord et la république de Pétion au Sud.

Outre la présence hostile de la république de Pétion, le royaume de Christophe dut affronter d’autres défis, peut-être plus significatifs encore. Tout d’abord, la constante menace d’une nouvelle invasion française intensifia la militarisation du gouvernement. La défense d’Haïti entraîna la construction de nombreux forts dominant la mer des Caraïbes et l’océan Atlantique. La Citadelle La Ferrière, le plus grand fort de l’hémisphère occidental, fut érigée à ces fins, sous la supervision d’ingénieurs militaires allemands, de 1810 à 1813. Le fort, situé à Milot (petit village de Cap Haïtien) abritait l’un des palais favoris de Christophe, le Sans Souci. Ensuite, le refus des États-Unis et des États européens de reconnaître l’indépendance d’Haïti favorisa l'adoption d'accords commerciaux iniques et l’absence de négociations diplomatiques, laissant la jeune nation plus vulnérable encore face aux intimidations des autres États et à la « politique de la canonnière ». 

Développer l'infrastructure de l’État, et en particulier un gouvernement stable et un système éducatif, étaient les points clés de l’agenda de Christophe. En mars 1811, une proclamation hâtive anoblit des soldats et des proches de Christophe. Un strict code de conduite fut mis en place pour discipliner des travailleurs fraîchement émancipés et en faire des citoyens modèles. Toutefois, la colère bouillait contre le gouvernement de Christophe en raison de lois prohibitives. Le Code Henri (1812) incluait des conditions de travail telles qu'on estima qu'elles s’apparentaient à des travaux forcés.