Boyer et la mission diplomatique de Boyé en Russie  par Louis E. Elie

Extrait du livre Le Président Boyer et l’Empereur de Russie Alexandre 1er  (1942) de Elie. Elie était un historien haïtien qui écrivit plusieurs livres au milieu du vingtième siècle, tels qu’Histoire d’Haïti (1944). Dans l’extrait ci-dessous il explique comment le Président Boyer fit appel à un vieil ami, un général français appelé Jacques Boyé, pour négocier un traité de commerce avec le Czar russe Alexandre 1er.

Dès la prise de possession du pouvoir (1er Avril 1818) le président Jean Pierre Boyer pensa à consolider la République, fondée en 1807 par le magnanime Alexandre Pétion. Voici ce que pense à ce propos un écrivain haïtien de grand mérite : Alexandre Lilavois.

« Mais si l’avenir de la Nation était assure à l’intérieur, le Chef du gouvernement ne pouvait se dissimuler que la grande question extérieure de son autonomie complète n’avait encore reçu aucune solution. Ainsi en préparation, il n’hésitera pas à créer à la République de nouvelles relations politiques afin d’arriver à contrebalancer l’influence de l’ancienne métropole en Haïti et à faciliter sa tache dans les nouvelles négociations à entreprendre en vue de la reconnaissance de l’indépendance par le gouvernement français. C’est ainsi  que le Président s’est rappelé qu’il pouvait employer l’intermédiaire d’un ancien officier supérieur de l’expédition Leclerc (en 1802) le General Jacques Boyé, pour faire des propositions au Gouvernement Russe. »

Pour comprendre maintenant pourquoi le Président d’Haïti fit choix d’un général français comme Plénipotentiaire à la Cour de Russie, reproduisons ce texte de Beaubrun Ardouin :
« Quelques semaines après la prise d’armes de Pétion, Jean Pierre Boyer fut arrêté à Port-au-Prince ou il était sans emploi…Etant en prison, Boyer écrivit à Jacques Boyé, adjudant général et ancien colonel de la Légion de l’Ouest. Cet officier aimait les hommes de couleurs et les noirs ; il vint sur le vaisseau et recommanda Boyer aux officiers et même à l’Amiral.
 
La mission confiée par le Président d’Haïti at Jacques Boyé, diplomate improvisé, comportait un programme précis. Il s’agissait de dissiper le long malentendu qui, de 1814 à 1821, avait empêché tout rapprochement, politique ou commercial, entre la France et son ancienne colonie, d’empêcher de se tourner en hostilité la très grande froideur des peuples de l’Europe envers Haïti. Il s’agissait surtout d’établir entre la Russie et la petite République antiléenne un véritable traité de commerce afin de neutraliser, de contrecarrer même la funeste influence de la France.

A cette œuvre vraiment difficile, le plénipotentiaire haïtien employa de son mieux toutes les ressources de son intelligence et sa bonne foi.  Au début, la réussite de la mission parût si douteuse que le comte de Divoff, titulaire du Ministère des Affaires Etrangères en l’absence de Capo d’Istra, essaya de décourager le général Jacques Boyé en termes assez catégoriques ; il signala le risque que courait la Russie de compromettre son prestige, sa dignité même par une intervention hasardée à un moment surtout où le traité de Pris de 1814 était remis à l’ordre du jour au Parlement français.

Mais Boyé n’était pas homme à se décourager au premier échec. Et comme il était décidé à mener l’affaire à bonne fin, il joua de courtoisie, d’élégance et d’esprit auprès d’Alexandre 1er qui, lui-même était un homme aimable et infiniment d’esprit, quoique maitre d’un pouvoir absolu et sans contrôle.

Une chose à noter à la fin de cette étude, c’est que l’Empereur de Russie, dans les longs efforts en faveur d’Haïti, n’envisagea jamais le principe de l’indemnité de 150 millions de francs au profit des colons français dépossédés. L’Empereur de Russie ne parla jamais non plus d’octroi injurieux de notre Independence par simple ordonnance royale [en 1825].