Le Code rural de Boyer  par Paul Moral

Extrait du livre de Moral, Le paysan haïtien: étude sur la vie rurale en Haïti (1961). Paul Moral fut professeur de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Dakar, au Sénégal.

La chute de Christophe unifie le pays sous  la présidence de Boyer. Pendant vingt ans se développe une lutte sourde entre les grands domaniers et la paysannerie indépendante, entre l’exploitation de type portionnaire et le faire-valoir individuel. Le divorce s’accentue entre les nécessités de la culture des denrées commerciales et l’expansion de la petite tenure familiale.

Pour la défendre contre les empiétements de la petite culture, le gouvernement de Boyer met en œuvre les moyens traditionnels ou essaie des tactiques nouvelles. Il en résulte une politique agraire compliquée, tortueuse, d’une efficacité souvent douteuse et qui représente, avec ses errements ses illusions, ses tracasseries, la résistance.

Après 1820, on assiste à un renforcement de la politique de coercition. Les instructions présidentielles d’avril 1820, au sujet du travail des ateliers, sont empreintes d’une grande rigueur. La poursuite du vagabondage par les autorités militaires, les inspecteurs de culture, les officiers de police et les «champêtres» paraît s’activer : «J’ai fait diriger dans les différentes sections des patrouilles composées de gendarmes et de troupes de ligne, bien commandées, dont l’objet était de rendre à la culture les planteurs qui en avaient abandonné les travaux, soit pour vagabonder sur les chemins publics ou pour acheter du commerce étranger la farine et la convertir en pain qui devenait l’unique ressource des habitants de la campagne.» Les  thèses de Polvérel et de Toussaint Louverture sur les rapports entre la condition paysanne et l’état militaire réapparaissent : «Si le soldat est dans l’obligation de combattre pour garantir les champs et la liberté du cultivateur, celui-ci, à son tour, doit travailler pour nourrir le soldat.»

 

On doute que ces dispositions énergiques aient réussi à préserver l’intégrité du  domaine  national. L’administration continue en tout cas à dénoncer l’occupation illégale des terres de l’Etat et à menacer les exploitants marrons … Dans le conflit fondamental  des «denrées» et des «vivres», force va rester à la petite paysannerie, à l’issue du grand drame agraire du milieu du  XIXe siècle qui scelle la liquidation du statut colonial.