Haïti et la République Dominicaine par Eugenio Matibag
Matibag est professeur d’Etudes Hispaniques et Latino- Américaines au Center for American Intercultural Studies à Iowa State University. Il est l’auteur du livre Haitian-Dominican Counterpoint: Nation, State, and Race on Hispaniola / Contrepoint Haïtiano-Dominicain : nation, état et race à Hispaniola (2003).
Depuis que le Roi François Ier (1515-42) avait demandé quelle clause du testament d’Adam avait donné les Amériques comme possession ibérique, la demande [espagnole] pour ce qui fut appelée l’île d’ Hispaniola pourrait être contestée. En effet, les changements politiques qui ont formé les 232, 5 miles de frontière aujourd’hui ont aussi destiné ce que deviendraient Haïti et la République Dominicaine dans le partage d’une histoire turbulente. Cette histoire partagée commença avec les affrontements entre les boucaniers français et les fermiers privés du nord- ouest d’ Hispaniola, où les marrons pourchassés s’établirent et constituèrent une véritable tête de pont, avec des activités qui s’intensifièrent après les dévastations de 1605 et la dépopulation de cette région ordonnée par le gouvernement colonial espagnol. L’économie de plantation de Saint Domingue produisit les conditions pour le marronnage, les révoltes d’esclaves et des établissements fondés par les fuyards des deux cotés des deux colonies. En 1697, le Traité de Ryswick qui mit fin à la Guerre de la Ligue d’ Augsbourg céda à la France les territoires réclamés. En 1795, le Traité de Bâle céda toute la partie espagnole à la France et elle le restera jusqu’ à la repossession espagnole en 1809.
Bien que Toussaint Louverture ait fait montre de loyauté envers l’Espagne durant les premières années de la révolte de 1791, il embrassa la cause française l’année suivante quand le Commissaire girondin Sonthonax apporta une promesse de l’égalité des droits entre les citoyens haïtiens et français.
Jean-Jacques Dessalines, qui avait proclamé l’indépendance haïtienne en 1804, avait envoyé 25, 000 hommes de troupe l’année suivante dans la partie de l’est, où une garnison française avait pu s’établir, dans la capitale dominicaine, sous le commandement de Louis Ferrand.
Les vingt- deux ans de "domination" de Santo Domingo par les forces haïtiennes commandées par Jean-Pierre Boyer, de 1822 à 1844, matérialisèrent pour les Dominicains la menace posée par l’autre partie de l’ île et l’indépendance dominicaine fut gagnée l’année suivante, non en séparation de la dite « mère patrie [espagnole] », mais des occupants du pays voisin. Les invasions de la partie de l’est ordonnées par le président haïtien Faustin Soulouque au milieu du dix- neuvième siècle furent tentées non seulement pour la reconquête de territoires dominicains, mais aussi pour anticiper la menace d’une reconquête d’Haïti par l’Espagne, qui pourrait être prise comme une plateforme pour la recolonisation de tout Santo Domingo.