Le Siège du  Cap-Haïtien  par Démesvar Delorme (1831-1901)

Un extrait  du livre de Delorme  Réflexions diverses sur Haïti  (1873). Delorme est un intellectuel et un homme politique  opposé  au Président Geffrard.  Quand le rival de Geffrard, Sylvain Salnave, marchait sur  le  Cap Haïtien avec  une petite armée de  miliciens dominicains,  Delorme se joignait à la  révolution. Plus bas, Delorme décrit comment Geffrard assiégea Salnave au Cap Haïtien. Quand la révolution fut dissipée,  Salnave et Delorme s’échappèrent à bord  du navire nord-américain le  Desoto.

Lorsqu’au mois de mai 1865, Salnave sortit brusquement à la tête de quelques hommes des forêts des Dominicains... je vivais au Cap à l’état de suspect. Le gouvernement me persécutait sourdement, parce que je venais de soutenir à la Chambre des représentants qu’on n’était pas dans le bon chemin et qu’il y avait moyen d’améliorer les affaires de la République.

De mon côté, je détestais ce gouvernement. Il était inutile au pays et il tuait sans cesse. Je désirais vivement sa chute; mais je refusais de m’associer aux conjurations qui se formaient contre lui presque tous les mois. Je craignais les suites des agitations.

Salnave prit possession de la ville du Cap  vers les cinq heures du matin; les autorités militaires et civiles se joignirent à lui entre huit et neuf heures; la plupart des habitants de la ville donnèrent tout de suite après leur adhésion, et firent de cette tentative une révolution... J’étais en retard; j’avais longtemps hésité avant de m’engager dans cette affaire; mais du moment  où j’eus consenti à y prendre part, je m’y suis cru lié par le devoir, par l’honneur.


La révolution échoua sur la route d’Ennery, par suite de la lenteur des opérations militaires dans les premiers jours. Les troupes du gouvernement marchèrent sur le Cap et l’assiégèrent. L’approche des dangers ne me fit point quitter la cause que j’avais adoptée. Quoique je n’eusse pas été des premiers à accepter la révolution, je ne voulus pas être des premiers à lui tourner le dos. Je ne voulais  pas du tout la déserter. Je crus que c’était un devoir de ne pas abandonner la ville aux malheurs qui la menaçaient, et je voulus rester à mon poste dans le moment difficile, dans le moment des périls, pour conjurer autant qu’il pourrait être en moi, les violences inséparables de ces situations exceptionnelles. Je jouai ce rôle durant le siège, autant qu’il fut en mon pouvoir. Il se trouvera, je l’espère, des personnes sans passion pour me rendre témoignage des efforts qu’on m’a vu faire nuit et jour pour prévenir les malheurs et les désordres au milieu d’une population irritée par les souffrances de la famine.

Enfin, après cinq mois d’un siège courageusement soutenu par la population, le Cap tomba au pouvoir du gouvernement, grâce au secours d’auxiliaires étrangers. J’allai dans l’exil. Dix-huit mois après, ce gouvernement tomba à son tour. J’étais en Belgique... Je revins, mais longtemps après la chute du gouvernement, sans me hâter, sans ambition, heureux de pouvoir rentrer dans mon pays, et roulant dans mon esprit mon rêve chéri d’une existence paisible, au milieu de mes livres, à la campagne.