La Restauration  par Joseph Châtelain

Le texte ci-dessous  est extrait du livre de Châtelain  La Banque Nationale  (1954).  Châtelain fut un éminent économiste et banquier  haïtien.

Le gouvernement [de Domingue] se proclamait celui de la Restauration ou, plus exactement, son véritable chef, le général Septimus Rameau, Vice-Président du Conseil, entendait opérer le redressement sur tous les plans et inaugurer une politique nouvelle de prestige et de développement économique. Son programme, qui  apparut grandiose et ambitieux à ses contemporains, comportait, outre la construction d’un palais national et d’un panthéon consacré à la glorification des héros de l’Indépendance, l’établissement de deux lignes de chemin de fer [et] l’installation de six phares… La création de la Banque Nationale dont le rôle serait de stimuler et de soutenir le développement des investissements par l’initiative privée constituait l’élément dynamique du programme.

Pour mettre de l’ordre dans l’administration financière, il institue une centralisation radicale… Les mouvements susceptibles de contrarier l’action gouvernementale sont menacés d’une répression impitoyable. En fait, dans cette voie, on ira plus loin même et la répression sera «préventive». Alléguant l’existence de conspiration, Rameau entreprit de décapiter le parti libéral par l’assassinat des partisans jugés les plus dangereux, Brice et Momplaisir Pierre.

Le plan de Rameau n’était réalisable que par le recours à l’emprunt… A la fin de juin 1875, en effet, le Crédit général français lançait, pour le compte du gouvernement haïtien, un «grand» emprunt de 50 millions francs… Pour l’institution parisienne chargée de l’émission publique, cette opération allait s’avérer particulièrement lucrative… Le rachat du premier emprunt de mars 1875 absorba immédiatement 14, 528,935 francs; l’apport d’argent frais au Trésor haïtien fut de 7, 313,300 francs. En présence de résultats aussi maigres, le gouvernement fut obligé de reviser son plan financier initial. Il abandonna l’idée du rachat de la double dette, il abandonna aussi la réalisation de sa politique de grands travaux publics… Dans cette débâcle à peu près complète de son plan de «restauration», Septimus Rameau s’accrocha fanatiquement à un point de son programme, la création de la banque qu’il entendit à tout prix réaliser.

Pour la sauvegarde des droits fondamentaux du citoyen, violés par «une tyranie odieuse et criminelle», pour sauver le pays menacé de «banqueroute total» par les conceptions financières «d’un cerveau de démence», le général Louis Tanis, commandant de l’arrondissement de Jacmel, a proclamé, le 7 mars, la révolution [contre Domingue et Rameau]. Le mouvement s’est  rapidement étendu aux divers points du pays. Le 15 avril, le président Domingue, fuyant l’émeute, gagnait en hâte la Légation de France, tandis que Septimus Rameau tentait d’organiser le transfert aux Cayes, par voie de mer, de tous les fonds déposés à la Banque Nationale. Surpris par les émeutiers à proximité du  quai d’embarquement, le convoi est dispersé, Septimus Rameau tué [… et] les caisses et les sacs d’argent livrés au pillage.