La  Perspective d’un libéral par Edmond Paul (1837-1893)

Un extrait de Les Causes de nos malheurs de Paul (1882). En exil en Jamaïque, Paul railla Salomon comme un populiste qui trompait les masses. La devise de Paul était « gouverné par les cultivés ». Il croyait que Boyer-Bazelais était un meilleur dirigeant.

Le people, dans sa grande majorité, toute la masse qui ne vit que du travail régulier, honnête, et qui, par conséquente, n’a besoin que de ces mesures d’ordre élevé, prévoyant, économique, éducateur, pour améliorer sa condition, changer son sort, s’asseoir tranquille à ses foyers, assourdie par une querelle politique qui ne finit pas s’épuise, à son tour, à intervenir, s’égare, quand il lui faut jeter l’épée dans la balance. Ceux qui devraient l’éclairer, lui server de Mentor, l’engager dans la voie du Vrai et du Juste, au contraire, sont les plus ardents à la fortune. Peu leur  importe, à ceux-là, que l’Etat aille à la dérive absolument comme un navire qui aurait perdu son gouvernail en pleine tempête.

L’incapacité du plus grand nombre est ainsi exploitée dans notre pauvre pays de toutes façons: par ceux d’abord qui n’entendirent laisser monter à la première magistrature de l’Etat que les moins capables d’entre le people, et cela pour que leur prestige, à eux, grandit, que leur mérite n’eût pas de concurrent. Que leur ambition restât sans rivale: -- par ceux, ensuite, pour qui la compétence du pouvoir, l’austérité de ses mœurs administratives, la fermeté de son contrôle, la rigidité de ses exactes décisions ne seraient que des obstacles à la dilapidation des deniers publics et une borne mise aux fortunes rapides et scandaleuses.

Ou le bras qui frappe aveuglément, ou la tête qui raisonne creusement: telle est l’alternative extrême, périlleuse, qui, quarante ans, balança Haïti pour ainsi dire, entre les deux pôles de l’ignorance.

Dès 1870, sur le drapeau qui flotta dans nos mains, j’écrivis: « il faut à la tête de nos pouvoirs publics la capacité sans épithète. » Groupant nos principes autour de cette idée initiale, nous avons convié tous les Haïtiens, tous les partis, vainqueurs ou vaincus, cacos ou piquets, à ne former qu’un désormais et à marcher hardiment vers un avenir meilleur