De Salomon à Légitime  par Jacques Nicolas Léger (1859-1918)

Un extrait de Haïti, son histoire et ses détracteurs (1907) par Léger. Léger fut un homme d’état haïtien qui servit sous plusieurs présidents and écrivit plusieurs volumes sur l’histoire diplomatique d’Haïti.

Le mandat présidentiel de Salomon aurait dû prendre fin le 15 mai 1887. Mais l’Assemblée nationale s'efforça de le maintenir au pouvoir en modifiant la Constitution, qui l’empêchait de solliciter un nouveau mandat. Et le 30 juin 1886 Salomon fut réélu Président pour sept années supplémentaires.

La réélection [de Salomon], perçue comme une tentative de rétablir la présidence à vie, fit beaucoup de mécontents, emmenés par le général Seide Thélémaque, ancien commandant de l'arrondissement du Cap-Haïtien. Le 4 août 1888, il affirma publiquement qu’il ne reconnaissait plus l’autorité de Salomon. Le 10 du même mois, une foule hostile se rassembla à Port-au-Prince, suite à quoi le Président annonça immédiatement qu’il acceptait de se désister.



Le maintien de l’ordre fut confié à un gouvernement provisoire dirigé par l’ex-Président Boisrond-Canal.

Deux candidats se disputaient âprement la Présidence : le général Seide Thélémaque, qui avait commandé Cap-Haïtien, et un ex-sénateur, F.D. Légitime, qui avait été Ministre de l’agriculture. La campagne électorale fut vivement conduite. Le 17 septembre 1888, les élections des Constituants, chargés de nommer le nouveau Président, avaient eu lieu, et la plupart semblaient en faveur de Légitime.

Dans la nuit du 28 septembre, un malheureux conflit éclata à Port-au-Prince entre les partisans des deux candidats. Le général Seide Thélémaque se rendit sur place avec ses soldats pour rétablir l'ordre. Mais à la faveur de l'obscurité, il fut touché à l'abdomen par une balle perdue et mourut quelques heures plus tard. Les conséquences de ce triste accident furent très graves. Les départements du Nord, du Nord-Ouest et de l'Artibonite blâmèrent Légitime pour le décès de son rival et exigèrent le retrait de sa candidature. Mais les départements de l'Ouest et du Sud prirent fait et cause pour Légitime.

"Les protestataires", comme on appelait les partisans de feu le général Thélémaque, établirent au Cap-Haïtien un gouvernement provisoire dont le général [Florvil] Hyppolite prit la tête. Pendant ce temps les Constituants de l'Ouest et du Sud s'étaient réunis à Port-au-Prince et avaient, le 14 octobre 1888, élu F.D. Légitime Chef du Pouvoir Exécutif.

Tandis que les États-Unis hésitaient sur la manière de réagir, les puissances européennes reconnurent l'autorité de Légitime. [A terme,] Hyppolite obtint le soutien des Américains, inquiets de l'intimité qui existait entre le nouveau Président et le Comte de Sesmaisons, Ministre de France.

De graves complications faillirent résulter de la partialité [des États-Unis]. Le 22 octobre 1888 la corvette haïtienne Le Dessalines captura un steamer américain, le Haytian Republic, au moment où il quittait Saint Marc. [Le vaisseau américain] s'était rendu dans divers ports du sud, avec à son bord une commission qui avait pour mission d'essayer de les retourner contre Légitime. Le steamer transportait aussi des soldats, des armes et des munitions pour le général Hyppolite.

L'affaire fut soumise au Tribunal. [Mais] le Département d'État à Washington D.C. intervint. Après de longues négociations, le gouvernement haïtien accepta de restituer le Haytian Republic qui avait été confisqué. Et le 20 décembre le vaisseau fut rendu au Contre -Amiral Luce.

Incapable de faire respecter son autorité, Légitime quitta Port-au-Prince en bateau, le 22 août 1889.