La Génération de la Ronde par Patrick Bellegarde-Smith
Bellegarde-Smith est Professeur Emérite à University of Wisconsin-Milwaukee. Il a écrit et édité de nombreux livres comme In the Shadow of Power / Dans l’ombre du pouvoir (1985) ; Haiti: The Breached Citadel / Haïti : la citadelle violée (1990) et Invisible Powers / Pouvoirs invisibles (2006).
La revue La Ronde (1898-1902) donna son nom à la période historique du tournant du siècle connue sous le nom de « génération de la Ronde. » Les mouvements littéraires ont rallié autour d’eux des journaux, des revues et des magazines et beaucoup d’entre eux n’ont pas duré beaucoup de temps, bien que leur impact fût durable. Ces organes littéraires remplissaient de nombreuses fonctions. Ils sont devenus un forum où les idées pouvaient être exprimées et diffusées, leur donnant une armature idéologique. Ces publications tendaient à refléter les événements de la scène politique, ou encore étaient une réaction contre la dictature, ou encore une représentation de la libéralisation.
En Haïti, politique et littérature sont entremêlées, en partie parce que les membres de l’intelligentsia étaient réduits dans leur totalité, et que les élites d’autre part, n’étaient pas nettement différenciées. La Ronde, comme les autres revues (revues et magazines) servait comme une issue éditoriale, réunissant de maigres ressources financières, permettant ainsi à de jeunes auteurs de trouver et de développer un public. La Ronde apparut à la veille du centenaire de l’Indépendance. Elle exprime un but qui n’était autre que le rajeunissement de la société [haïtienne] à travers la littérature. Vu qu’elle englobait des traditions littéraires diverses, elle ne peut être désignée comme « une école », donc, elle est caractérisée comme « un mouvement ». Bien qu’elle soit une continuation des genres littéraires précédents, elle [La Ronde] embrasse une approche et un agenda humaniste et universel. Elle était éclectique, permettant ainsi un ton plus que nationaliste. Néanmoins, elle aidait à diffuser plus loin les idées philosophiques de l’Europe. Le positivisme était alors à l’ordre du jour en Amérique latine. Le secrétaire de La Ronde, le jeune Dantès Bellegarde (1877-1966), mon grand-père, a résumé magnifiquement les positions sociales des écrivains qui avaient lancé le mouvement : « nous étions tous, noirs et mulâtres, sans richesse personnelle. Nous avons été éduqués dans les écoles publiques qui fonctionnaient avec l’argent du peuple [haïtien]. Nous aimions ce peuple de qui nous différons seulement par notre éducation ». (Tiré de Dessalines a parlé, 1948, pages 96- 97). Cette description révèle que ces gens de lettres étaient des membres de la petite bourgeoisie – une classe moyenne montante- et des anciens étudiants des lycées publics, établis par les gouvernements juste après l’Indépendance. Ils n’étaient pas des rejetons de la haute bourgeoisie. Durant cette période, Haïti a pu développer la plus grande littérature parmi les sociétés de la Caraïbe, produisant plus de livres par habitant que n’importe quelle autre société des pays de l’Amérique Latine comme le Brésil, l’Argentine et le Mexique jusqu’en 1951.