La Lutte contre la banque par Frédéric Marcelin (1848 – 1917)

Un extrait de  Question Sociale (1905) de Marcelin. Marcelin était le Ministre de Finances de  Nord Alexis. Comme Alexis, il fut contrarié lorsque des administrateurs français à la Banque Nationale d’Haïti différèrent de l’argent pour essayer de faire que l’Etat accepte leurs termes. Marcelin écrivit une lettre au quotidien d’Haïti le Nouvelliste pour dire qu’Haïti préférait mourir de faim plutôt que céder. L’Etat révoqua la charte bancaire pour servir comme trésorier national mais il y avait encore du temps pour reprendre les conversations.

Durant des mois et des mois, l’Affaire a absorbé toutes les forces du pays, les a hypnotisées. C’était, comme naguère dans un grand pays, la trouée des Vosges, paralysant les initiatives, annulant les discussions, les volontés dans ce qu’elles ont pourtant de majeur : l’intérêt du pain quotidien.

Aujourd’hui, tout  est consommé. L’obsession a disparu : la vie, semble-t-il, peut renaître. Et aussi, et surtout, nous pouvons examiner une situation économique qui, née de la témérité de la Banque Nationale posant “des conditions dont l’acceptation serait la dénégation de tout ce qui a été entrepris pour ramener l’ordre dans l’administration et la plus flagrante injure à nos lois et à nos institutions”, ne reste pas moins grosse des plus effroyables conséquences pour l’avenir.



Il ressort donc du langage officiel dont nous venons de donner ce court extrait, que, quoique étant la cause de nos maux, la Banque non seulement n’a pas voulu nous aider à les réparer, mais encore a essayé de profiter de nos embarras pour nous obliger à lui signer une amnistie générale et forcée. Nous avons résisté. Nous avons vaincu. Au prix de quels sacrifices? De 10 nouveaux millions de papier-monnaie et de la ruine générale.

Affirmons que c’était un sacrifice nécessaire à la justice, à la cause sacrée, immanente du droit que nous défendions contre la Banque coupable, soit. Demain, dans l’histoire, ce sera l’excuse. La main sur ses coffres, la Banque avait l’air de nous imposer la honte ou la faim. Le peuple haïtien a choisi la faim. Il est juste qu’il tire de la victoire, pour laquelle il a tant souffert, quelque avantage.

Il me paraît improbable que la Banque Nationale d’Haïti, institution française, ne fasse pas un effort patriotique, pressée par l’aiguillon de notre volonté, pour défendre l’influence de sa race. De ce côté, il faut qu’elle soit persuadée que nous serons avec elle, nos origines, notre langue, notre mentalité ne pouvant que nous obliger à nous résigner, sans plus, à chercher aide ailleurs qu’en France. Il faut donc que la Banque, pour asseoir notre assiette économique sur des bases sérieuses, retire notre papier-monnaie.

On aime à espérer qu’éclairée par l’expérience, l’institution se prêtera d’elle-même à une entente honorable, fructueuse en faits, aussi bien pour elle que pour nous. Cette entente, définitivement, fera cesser le cruel malentendu qui a toujours existé entre elle et le peuple haïtien, car, après le retrait, ce sera un mot désuet que celui qui affirmait, depuis près d’un quart de siècle, qu’elle n’avait de national que le nom.