Les Chemins de Fer dHaïti par Georges Michel

Michel est historien et journaliste. Il a écrit plusieurs livres dont Les chemins de fer de l’île d’Haïti (1989).

Les premiers rails d'Haïti furent installés en 1876. Ils avaient un écartement de 76 cm. C'était un réseau de tramway tiré par des chevaux, qui était censé être couplé à un train à vapeur dirigé vers la frontière entre Haïti et Saint Domingue, qui ne fut en fait construit que beaucoup plus tard. Après cela, il y eut plusieurs projets avortés, comme ceux qui furent proposés en 1875 et firent l'objet de longues discussions : ces rails devaient aller jusqu'à St-Marc et Miragoâne, et avoir un écartement métrique. Un autre projet, initié sous la Présidence de Louis Lysius Salomon en 1880, devait également avoir un écartement métrique, mais serait allé jusqu'à la frontière. En 1893, le Dr. Nemours Auguste proposa un réseau régional pour le Nord du pays, mais il n'en fut construit qu'un seul tronçon.



En 1895, une compagnie allemande du nom de Compagnie des Chemins de Fer de la Plaine du Cul-de-Sac (PCS) acheta le réseau de tramway de Port-au-Prince et s'engagea à construire trois lignes régionales avec un écartement de 76 cm ou 30 pouces, qui iraient de Port-au-Prince à la frontière, vers Léogâne et vers Pétionville. La ligne dirigée vers la frontière fut achevée en septembre 1903. La ligne vers Léogâne fut terminée en 1910. Enfin celle de Pétionville fut partiellement construite, mais resta inachevée. PCS transporta de la canne à sucre pour l'usine de sucre HASCO à partir de 1918. Elle cessa tout transport de passagers et de fret en 1932, lorsque le gouvernement du Président Sténio Vincent la céda à HASCO dans le cadre d'une transaction aux termes de laquelle HASCO maintiendrait l'activité de PCS pour son propre usage privé, le transport de canne à sucre à partir de ses plantations. Elle continua d'exister en tant que division de HASCO jusqu'à sa disparition en 1992. La ligne vers Léogâne fut démantelée en 1983. Enfin la ligne qui rejoignait la frontière et la ligne inachevée de Pétionville furent démontées en 1995, peu après la seconde invasion américaine. Une partie des voies fut volée par des soldats américains.

A partir de 1906, une ligne fut construite au départ des Gonaïves. Elle avait un écartement de 42 pouces (1,067 m), dit écartement japonais ou sud-africain. Elle faisait partie d'un grand réseau vers Gros-Morne et Hinche. Elle atteignit Ennery, à 33 km des Gonaïves, en 1913, mais fut démantelée en 1925. Une autre ligne, allant de Cap-Haïtien à Grande-Rivière du Nord et Bahon fut construite à partir de 1898. Elle atteignit Grande-Rivière (à 26 km de Cap-Haïtien) en 1905 et Bahon en 1913 (à 39 km de Cap-Haïtien). Elle ne fut jamais prolongée, contrairement à ce qui était prévu. L'écartement initial de 30 pouces / 76 cm fut converti en 42 pouces / 1,067 m, le standard de la Compagnie Nationale des Chemins de Fer d'Haïti. Cette compagnie, dont la concession fut obtenue par un magnat américain du nom de James P. McDonald et approuvée par le gouvernement du Président Antoine Simon en 1910, était censée construire une ligne de Port-au-Prince à Cap-Haïtien, passant par l'intérieur du pays, via Arcahaie, Montrouis, Saint-Marc, Verrettes, La Chapelle, Mirebalais, Lascahobas, Thomassique, Hinche, Pignon, Savanette, Bahon, Grande-Rivière du Nord et Cap-Haïtien. C'est dans cette optique qu'il fit l'acquisition des lignes Gonaïves-Ennery et Cap-Haïtien-Bahon, dont l'écartement initial passa à 42 pouces.

L’idée d’un chemin de fer Port-au-Prince/Cap-Haïtien fut lancée, sans succès, en 1906 par Rodolphe Gardère, un homme d’affaires haïtien des Gonaïves qui était déjà à l’origine de la ligne Gonaïves-Ennery. La ligne à destination de Saint-Marc fut achevée en 1913 et prolongée jusqu’à Verrettes en 1926. Beaucoup des tronçons ne furent jamais construits, ce qui fait qu’elle n’atteignit jamais sa destination finale, Cap-Haïtien. La ligne Cap-Haïtien-Bahon cessa ses transports de passagers et de marchandises en 1952, mais continua à acheminer des récoltes, en particulier du sisal pour la société SHADA, jusqu’au début des années 60. La ligne fut démantelée autour de 1965, les Tontons Macoutes ayant volé les rails et le matériel roulant. Certains des rails furent réutilisés pour faire des réverbères. D’autres servirent à construire les tribunes de l’actuel stade de football de Cap-Haïtien. La ligne Saint-Marc et Verrettes continua à fonctionner régulièrement jusqu’en octobre 1963, date à laquelle l’ouragan Flora détruisit une petite partie de la voie sur la rive du port en eau profonde de Saint-Marc, alors que les dégâts auraient pu facilement être réparés. Outre les passagers, les bananes et les marchandises en tous genres, le chemin de fer avait des contrats visant à acheminer de la farine, du ciment et des briques vers Port-au-Prince depuis les usines établies le long de son parcours. Il desservait également les plantations de sisal de SHADA, dans la région de Saint-Marc. Pourtant, Papa Doc Duvalier décida de ne pas réparer cette ligne et de fermer le chemin de fer, de sorte que ses Tontons Macoutes et autres fidèles partisans puissent voler 140 km de voies ainsi que le matériel roulant. Comme dans le cas de la ligne Cap-Haïtien, les chaudières des locomotives à vapeur furent volées par les Macoutes et utilisées dans des distilleries et des usines d’huile de cuisson. Farine et ciment étaient désormais acheminés par camions jusqu’à Port-au-Prince. Et la briqueterie La Baudry dut cesser ses opérations car le transport routier coûtait trop cher pour transporter les lourds chargements de briques jusqu’à Port-au-Prince. Une petite section de la ligne de Trou-Baguette vers Tamarin, tout près de Saint-Marc, fut maintenue en fonctionnement par SHADA pour transporter les récoltes de sisal vers leur usine de Montrouis. En 1971, le tronçon de voie entre Trou-Baguette et Montrouis fut fermé, et une fois de plus pillé par les dignitaires Duvaliéristes. La dernière section entre Montrouis et Tamarin continua à transporter du sisal pendant quelques années. Mais elle dut cesser à la fermeture de l’usine SHADA de Montrouis, en 1978. Les voies et cette fois l’intégralité du matériel roulant furent démantelées et volées par les Duvaliéristes en 1979. L’atelier et la gare principale de Freycinau, la plus moderne de toute la région des Caraïbes, fut totalement pillée par les Macoutes. Et son vaste terrain est désormais occupé par un bidonville à l’entrée de Saint-Marc.

Il existait d’autres lignes ferroviaires en Haïti, mais moins importantes. Il y avait un réseau de chemin de fer dans la plantation de sisal Dauphin, au nord-est d'Haïti. Les rails légers (30 livres au yard, soit environ 14 kg/m) avaient un écartement de 76 cm et desservaient les usines de sisal de Phaëton et de Dérac. Il fonctionna des années 20 à la fin des années 80, puis fut démantelé dans les années 90. A l’ouest de ce réseau se trouvait une ligne similaire, qui desservait les plantations de sisal de l'usine Madras. Vers la fin du 19ème siècle, une ligne de chemin de fer surélevée de 18 km avait été construite par une compagnie allemande pour relier Bassin-Bleu au port atlantique de Port-de-Paix. Elle fut démantelée dans les années 30. Il existait également le chemin de fer Decauville, qui acheminait fret et passagers vers le tiers oriental de l’île de Tortuga. Il fut démantelé dans les années 30 lui aussi. Avec un écartement de voies de 24 pouces/60 cm, il utilisait des locomotives à vapeur et du matériel roulant Decauville. Enfin, un petit chemin de fer Decauville situé dans la région de Dame-Marie, au sud, qui desservait la plantation de cacao des