L’Église catholique et le vaudou  par Alfred Métraux (1902-1965)

Un extrait de Le Vaudou haïtien (1959) de Métraux, traduit en anglais par Hugo Charteris. Métraux était un anthropologue suisse qui est allé en Haïti avec l’UNESCO dans les années 1940. Lorsqu’il était dans la vallée Marbial, il a étudié le vaudou.

La plupart des prêtres catholiques d’Haïti sont originaires de Bretagne, où existe un séminaire chargé de leur formation. Lorsqu’ils se trouvent en présence, non de bons catholiques enclins à quelques superstitions inoffensives, mais de paroissiens visités par des esprits et s'entretenant familièrement avec eux, ils se sentent évidemment désarmés et désemparés. Ni le milieu où ils ont vécu, ni l'enseignement qu'ils ont reçu ne les ont préparés à affronter un tel état de choses. Loin de s’apitoyer sur l’ignorance et la crédulité de leurs fidèles, la plupart d’entre eux, qu’ils soient Français ou Haïtiens, considèrent le vaudou comme une entreprise démoniaque, contre laquelle ils ont le devoir de lutter avec tous les moyens que l’Église leur fournit.

La première tentative officielle de l’Église pour combattre le vaudou remonte à 1896. L’évêque du Cap Haïtien, Mgr. [François-Marie] Kersuzan, avait organisé contre la « superstition » une campagne de conférences, de réunions et de prédications, qui aboutit à la création d'une « Ligue contre le Vaudou », dont l’action dans les paroisses devait s'exercer par l'intermédiaire des curés. Son succès fut apparemment médiocre. Dans une allocution synodale, Mgr. Kersuzan se plaint de ne pas être soutenu par les autorités, bien que le Président l'eût assuré de son appui, et il ajoute : « des gens, même intelligents et instruits, prennent parti pour le fétichisme dans certains endroits, ce qui égare le peuple. »

En même temps qu'il dénonçait les méfaits du vaudou, Mgr. Kersuzan menaçait les vaudouistes de sanctions graves. Ceux qui participaient à une cérémonie étaient privés de la communion, houngan et mambo ne pouvaient devenir parrains ou marraines et ils devaient passer par l’évêque du diocèse pour obtenir l’absolution.