Instruction pour les paysans  par Edner Brutus

Un extrait de l’ouvrage Instruction publique en Haïti de Brutus (1948). Brutus était un diplomate et un historien haïtien. Ci-dessous il rappelle comment le Président Michel Oreste se souciait profondément des paysans, mais son plan pour les aider s’est retourné contre eux.

[Le 4 août 1913, le President Michel Oreste annonça un accord.] Cet accord concrétisait l’opinion jadis exprimée par Dubois que « le prêtre de campagne fut le directeur des quartiers qu’il dessert. »  Il autorisait les curés à créer dans nos sections rurales, des écoles primaires du premier degré, dites presbytérales. L’Etat accordait aux directeurs, à part leurs appointements, « une gourde par élève fréquentant chaque établissement et cinquante gourdes pour chaque nouvelle école, à titre de frais d’installation et de matériel nécessaire. »

Le gouvernement perdait son temps et son argent. Messieurs les curés, douillettement installés dans les gros bourgs et dans les villes, se faisaient remplaces par  d’un pécule et empochaient le reste. Les écoles poussaient comme les herbes dans les halliers.

En mai 1914, dans l’exposé de la situation, le ministre Gaston Dalencour consignait déjà : « Ces écoles ont-elles commencé à réaliser les légitimes espérances que leur création avait fait naître ? »  Dans les conditions où ces écoles fonctionnent depuis la convention du 4 août 1913, on peut affirmer qu’elles ne peuvent répandre au but pour lequel elles ont été fondées, Au point de vue de l’enseignement classique, le plus grande nombre des maîtres improvisés auxquels messieurs les curés ont confié la direction de es écoles ne possèdent pas les aptitudes requises pour s’acquitter d’une tâche si délicate.

Le 4 novembre 1913, aux ministres de l’Instruction Publique et de l’Agriculture, il écrivait : « La plupart des prêtres composant notre clergé possèdent des notions d’agriculture qui leur permettront d’être, pour nos paysans, d’utiles conseillers, et pour nos petits ruraux, des maîtres avisés. Mais, il faudrait qu’ils fussent guidés et contrôlés par les ingénieurs-agronomes du ministère de l’Agriculture. L’occasion me semble, en effet, propice pour organiser une institution qui, ailleurs, a rendu de grands services : celle de professeurs ambulants d’agriculture. »

Le merveilleux rêveur qui oubliait que messieurs les curés, souvent, il est vrai, de souche paysanne, n’étaient, en général, pas plus avancés en sciences agricoles que de simples jardiniers. En leur consentant l’aide de nos ingénieurs-agronomes, --et il n’y en avait pas cinq --, c’était, en somme, reconnaître leur ignorance sur ce chapitre et justifier leur inapplication de ce septième article, aussi commode que les précédents, car, jamais messieurs les curés ne pendirent leur soutane à quelque branche basse, pour indiquer aux jeunes campagnards, la meilleure façon de semer les pois ou le riz, d’émonder le caféier ou de prévenir l’érosion.