L’Appréhension américaine par Dana Munro (1906-1981)

Un extrait d’Intervention and Dollar Diplomacy in the Caribbean, 1900-1921 /Intervention et diplomatie de dollar dans les Caraïbes, 1900-1921 (1964) de Munro. Munro fut une diplomate américaine de service en Haïti, au Nicaragua et au Chili. Plus tard,  elle enseigna l’Histoire à l’Université de Princeton.

L’idée principale qui inspira la politique caribéenne des États-Unis dans les deux premières décennies du 20ème siècle fut le Corollaire Théodore Roosevelt à la Doctrine de Monroe : les États-Unis, s’ils voulaient prévenir l’intervention européenne, devraient aider les républiques de la Caraïbe à en finir avec la mauvaise gestion  financière et le désordre chronique qui appelaient l’intervention. Cette idée n’était pas totalement nouvelle, car plusieurs hommes d’état et écrivains en Europe et aux États-Unis avaient suggéré que les États-Unis ne pourraient pas maintenir la Doctrine de Monroe sans assumer une certaine responsabilité dans les actions des États qu’elle protégeait. Le Corollaire lui-même fut annoncé par l’Amendement Platt, qui cherchait à s’assurer que l’indépendance de Cuba ne serait pas menacée par son incapacité à protéger les étrangers et à s’acquitter de ses dettes. Cuba cependant, était un cas exceptionnel. Ce ne fut qu’après l’embargo anglo-germanique du Venezuela en 1902-1903 que le Corollaire fit partie de la politique générale du gouvernement américain dans la Caraïbe.



Les intérêts français et allemands étaient toujours plus puissants en Haïti que dans n’importe quel autre état caribéen. Les Français étaient les plus grands créanciers de la république et les meilleurs clients pour ses exportations, et la Banque Nationale, dans laquelle les Français traitaient en égal les directeurs américains, était constamment impliquée dans la politique car le gouvernement devait recourir à la banque pour équilibrer le budget. Les Allemands possédaient les services publics les plus importants, et les lignes maritimes allemandes transportaient la majorité du commerce du pays. Les commerçants allemands locaux avaient beaucoup d’influence politique parce que dans la plupart des cas,  c’étaient eux qui finançaient les révolutions. La préoccupation du Département d’Etat au sujet des activités européennes était encore plus grande car les gouvernements français et allemand manifestaient un intérêt plutôt particulier dans les affaires haïtiennes et contrecarraient les efforts des États-Unis pour augmenter leur propre influence.

L’Allemagne était soupçonnée de vouloir obtenir une base navale ou un poste de ravitaillement en combustible en Haïti. Puisque sa marine, sans de telles installations, était dans une position désavantagée par rapport à celles des puissances qui avaient des colonies dans la Caraïbe, ce désir n’était pas déraisonnable, mais les autorités navales à Washington pensèrent qu’une grande provision de carburant, n’importe où dans les Caraïbes, constituerait une menace pour les États-Unis. Le Département d’Etat  s’était opposé en 1910 et 1912 aux efforts des compagnies maritimes françaises et allemandes d’obtenir des concessions pour des dépôts de carburant en Haïti, et il était bien entendu spécialement sensible à tout projet qui semblait inclure le Môle St. Nicolas. Les rumeurs et les rapports de tels projets provoquaient un malaise de temps en temps.