Le Départ de Rosalvo Bobo  par  Roger Gaillard (1923-2000)

Un extrait de Les Cent jours de Rosalvo Bobo (1987) de Gaillard qui est le premier volume dans sa série sur l’Occupation américaine d’Haïti, intitulée Les Blancs débarquent. Gaillard a écrit de nombreux volumes sur Haïti et fut le président de la Société Haïtienne d’Histoire.

C’est une Lettre ouverte de Rosalvo Bobo au président des Etats-Unis, lettre dans laquelle, moins d’un mois après les élections présidentielles, le candidat malheureux proteste contre les  manœuvres  qui lui ont barré la route à la magistrature tant convoitée.



Dans cet appel politique daté du 8 septembre 1915, et rédigé à Santiago de Cuba où commence pour lui l’âpre exil, Bobo raconte ainsi sa visite [avec Caperton] à bord du [U.S.S.] Washington:
« Je m'apprêtais à lever la marche pour Port-au-Prince à la tête de mon armée, quand l’amiral Caperton, votre représentant, me délégua une commission où figuraient entre autres l’archevêque de la métropole et un ex-président de la république. Cette commission m’apportait de sa part des paroles de paix et l’invitation de me rendre le plus tôt possible à la capitale, à bord d’un croiseur américain, pour conférer avec lui. »

«  Je lui redis ce que tant de fois j’avais exprimé dans mes écrits et conférences: ma grande admiration pour les Américains dont l’énergie, l’activité industrieuse, les méthodes de travail, la discipline économique nous sont offertes en exemple, le désir que j’ai toujours eu de les attirer chez nous pour faire bénéficier le pays de l’apport de leurs capitaux et de leur savoir-faire. Mais je m’empressais d’ajouter que, d’accord en cela avec le peuple haïtien, jamais nous ne souffririons leur présence dans le pays à d’autre titre qu’à celui de bénéficiaires de notre bienveillance et de notre hospitalité, jamais nous n’admettrions sous aucune forme l’ingérence du gouvernement des Etats-Unis, non plus que celle d’aucune autre puissance étrangère dans notre politique intérieure. »

Quant au sujet de la conversation, il n’a  point consisté en l’offre de la présidence à Bobo. On agita la question électorale, et Bobo répéta ses déclarations antérieures concernant les points sur lesquels il ne transigerait jamais.

Après la mort de Bobo, en 1930, quand on se  mettra à parler… de ce « never, » un confident très proche  de Charles Zamor lui demandera ce qu’il en pensait. Pour l’ancien compagnon de Bobo, ce terme anglais, « pris tel quel, est un faux mot historique. » Et il continuait: « En apprenant que l’Américain exigeait, non seulement le contrôle des douanes, mais aussi une Convention, Bobo a certainement fait savoir avec emphase que jamais il n’accepterait d’être chef d’Etat  à ce prix-là. Il l’avait déjà écrit en toutes lettres dans son « Appel au Peuple Haïtien” d’avril 1915. Mais le terme n’a pas claqué comme un refus de fauteuil présidentiel offert spontanément à Bobo. On ne lui a rien offert, car avant même qu’il débarque, les jeux étaient faits. »