Le Roman occupé  par Nadève Ménard

Ménard enseigne la Littérature haïtienne à l’Université d’Etat à Port-au-Prince. Elle est l’auteure d’Écrits d’Haïti : perspectives sur la littérature haïtienne contemporaine (2011).

La réponse littéraire à l’occupation américaine d’Haïti, qui dura de 1915 à 1934, fut variée et soutenue. L’ethnologue Jean Price-Mars exhorta les écrivains haïtiens à se tourner vers l’Afrique comme source d’inspiration dans leur travail. Même si tous les écrivains ne répondirent pas à son appel, il y eut certainement un bouillonnement d’activités littéraires au cours des premières décennies du 20ème siècle. Poésie, nouvelles, romans et pièces de théâtre furent produits et publiés en abondance. Les journaux et revues comme La Revue Indigène offraient à la fois des commentaires politiques et des morceaux littéraires.

Plusieurs romans haïtiens furent publiés durant l’occupation américaine. Six d’entre eux prennent explicitement l’intervention comme sujet et comme contexte, mettant en scène des personnages étrangers qui tentent d’exploiter ou d’humilier les personnages haïtiens. Le premier d’entre eux fut Les Simulacres (1923) de Fernand Hibbert. Dans ce court roman, un arnaqueur cubain escroque le personnage principal haïtien de 5,000$ et séduit sa femme. Ce scandale privé est juxtaposé avec celui plus public de l’occupation par les États-Unis.

Egalement publié pendant cette période, Le Choc (1932) de Léon Laleau présente un jeune Haïtien dont les sentiments d’admiration et de sympathie pour les étrangers se transforment en  mépris et ressentiment après son humiliation constante par les Marines américains. Le Nègre Masqué (1933) de Stéphen Alexis présente un avocat haïtien qui s’engage dans la résistance armée contre l’occupation, pendant qu’il se bat pour réconcilier son amour pour une Française avec son identité patriotique. Et La blanche négresse (1934) de Cléante Valcin, et Le Joug  (1934) d’Annie Desroy explorent des questions de patriotisme et d’identité nationale dans le contexte de l’occupation américaine. Ils explorent aussi les ramifications sociales de l’occupation, incluant des thèmes tels que le racisme, l’exploitation sexuelle et les relations de genre. Viejo (1935) de Maurice Casséus,  publié une année après la fin de l’intervention, présente un  protagoniste haïtien qui finit par tuer un représentant de l’oppression américaine.

En effet,  ces romans de l’occupation  se positionnent fermement contre l’occupation américaine. La plupart d’entre eux présentent des personnages principaux, Haïtiens ou étrangers, qui s’enfuient ou sont renvoyés du pays à la fin du récit, indiquant qu’il ne peut y avoir une cohabitation paisible entre Haïtiens et étrangers dans le contexte d’une occupation étrangère.