Les Afro-Américains, les femmes américaines et l’occupation par Millery Polyné, Ph.D.

Polyné est professeur adjoint à l’Ecole Gallatin des Etudes Individualisées à l’Université de New York. Il est l’auteur de From Douglass to Duvalier: U.S. African Americans, Haiti, and Pan Americanism, 1870-1964 /De Douglass à Duvalier: les Afro-Américains des Etats-Unis, Haïti et le Pan-Américanisme (2010).

Lorsque les forces militaires étrangères arrivent sur les côtes d’une république insulaire indépendante avec l’intention d’envahir et, inévitablement, de contrôler les affaires  économiques et politiques du pays, comment les citoyens des forces d’occupation et de la nation occupée réagissent-ils ? Pendant dix-neuf ans, de 1915 à 1934, Haïti   a été sous la domination des États-Unis. En dépit de l’intensification des efforts des États-Unis vers la construction de l’empire au cours de la fin du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème siècle, qui inclut les interventions financières et militaires à Cuba, Porto-Rico, la République Dominicaine et le Nicaragua, un mouvement anti-impérialiste fort et consistant cherchait à contrecarrer la logique selon laquelle Washington serait le fiduciaire « naturel » des affaires caribéennes, en particulier, et des états non occidentaux sous-développés de manière plus générale. Plusieurs groupes importants aux États-Unis, y compris les Afro-Américains, les femmes, les missionnaires religieux et les communistes protestaient contre l’agression des États-Unis et leurs intérêts stratégiques en Haïti et dans la Caraïbe parce que non seulement ils violaient la souveraineté haïtienne et perpétuaient une subjugation anti-noire dans le monde colonial, mais aussi parce qu’ils reflétaient les inégalités sociales et économiques parmi les femmes et les noirs américains sur le sol américain.



L’Association Nationale pour l’avancement des gens de couleur (NAACP) joua un rôle important dans la documentation de la violence contre les Haïtiens. James Weldon Johnson, le Secrétaire Exécutif de NAACP écrivit une série d’articles pour The Nation en 1920 qui soutenaient que le gouvernement des États-Unis n’avait pas les intentions « humaines » nécessaires pour s’occuper des problèmes systémiques en Haïti. En outre, Johnson aida à organiser une branche américaine de l’Union Patriotique, une organisation dévouée à la restauration de l’indépendance haïtienne. Plusieurs autres organisations afro-américaines et des conférences politiques prônaient des agendas anti impérialistes en Haïti, y compris la Ligue pour Sauver Haïti (Save Haïti League)  de Napoleon B. Marshall, la Conférence du travail du noir américain, (American Negro Labor Conference), la Conférence nationale du républicain de couleur (National colored republican Conference), et plusieurs des congrès pan-africains. En 1927, des membres du 4ème congrès pan africain dans la ville de New York demandèrent le retrait des militaires américains d’Haïti et une fin au séquestre financier vorace des États-Unis.

Des organisations de femmes telles que le Conseil international des femmes de race plus sombre (International Council of Women of the Darker Races) et la Ligue internationale pour la paix et la liberté (Women’s International League for Peace and Freedom) firent entendre leurs protestations et organisèrent des voyages de recherches exploratoires pour comprendre et documenter le pouvoir des États-Unis en Haïti, qui selon le travail de l’activiste Emily Balch Occupied Haiti, avait profondément affecté les vies haïtiennes en termes de santé, de travail, d’éducation et de libertés publiques. Plusieurs de ces femmes, africaines et anglo-américaines, tel que l’affirme la chercheuse Mary A. Renda, se sont approprié un « cadre discursif paternaliste » qui illustra les relations asymétriques entre les officiels des États-Unis et le personnel militaire et les administrateurs et profanes haïtiens.

De la même manière, les critiques d’inégalité et de hiérarchies de classe soulevées par des membres du Parti des travailleurs (Worker’s Party) ou le Parti communiste américain avaient toute leur importance pendant la période de l’occupation américaine d’Haïti. Ces points de vue démontrèrent les connections idéologiques entre les stratégies de l’économie libérale et des entreprises et l’émergence des aventures impériales. Par conséquent, l’opposition à l’intervention des États-Unis en Haïti était variée et avait un certain nombre d’influences – des politiques et pratiques nationales discriminatoires et violentes contre les femmes et les noirs américains aux initiatives pour la paix mondiale et les agendas anticoloniaux coordonnés par un cadre d’activistes, d’intellectuels et d’éducateurs multiraciaux.