La Grève des étudiants à Damien  par Jennifer Greenburg

Greenburg est doctorante au Département d’Histoire à l’Université de Californie, Berkeley. Sa thèse portera sur Haïti sous l’occupation américaine.

Le jeudi 31 octobre 1929, Georges Freeman était assis dans un fauteuil dans son bureau avec les jambes étendues et une pipe dans la main, écoutant par le biais d’un interprète une délégation d’étudiants qui se plaignaient que leurs bourses avaient été réduites. Freeman était le directeur du Service Technique, la pièce  maîtresse de l’éducation agricole et vocationnelle dans une Haïti occupée par les États-Unis et un élément important des révisions aux technologies d’occupation qui suivirent la répression brutale de la rébellion des cacos la décennie précédente. Les administrateurs avaient décidé de réallouer une portion des fonds dédiés préalablement aux bourses basées sur le mérite, qui tendaient à récompenser les étudiants bourgeois urbains, à un programme du genre « work study », qui permettait aux étudiants de supporter leurs études en faisant du travail manuel sur les terres de l’école agricole. Avant de chasser les étudiants hors de son bureau et d’expliquer comment il pourrait aisément les remplacer, Freeman répondit par le biais de l’interprète que les bourses existaient grâce à ses transactions personnelles avec le Président Borno, et qu’il pourrait les réduire à sa guise sans l’avis des étudiants.



La délégation d’étudiants quitta le bureau de Freeman, refusa de monter dans les bus qui normalement faisaient la navette entre Port-au-Prince et le campus de Damien, et parcourut à pied les huit kilomètres pour rentrer à Port-au-Prince. Ce qui avait commencé comme une dispute interne au sujet de bourses s’étendrait bientôt en une grève générale si grande qu’elle forcerait les États-Unis à planifier son retrait d’Haïti. La révolte de Damien était la consolidation d’années de mobilisation contre l’occupation et de multiples mouvements politiques. Dans l’espace d’une semaine, les étudiants de tous les autres grands campus à Port-au-Prince se soulevèrent aussi en solidarité. Les employés des douanes suivirent bientôt. La protestation politique grandit au cours du mois de novembre 1929. Les protestataires brulèrent des effigies de Georges Freeman, qui en vint à symboliser la figure de l’expert américain surpayé, paternaliste et raciste.

Le 6 décembre, un petit détachement de Marines ouvrit le feu sur un groupe de 1500 paysans dans la ville des Cayes, au sud du pays, tuant une douzaine de personnes et blessant 23. Le massacre des Cayes sonna le glas de l’occupation américaine. La condamnation internationale généralisée força le Président Hoover à nommer la Commission Moton pour évaluer le système éducatif, et la Commission Forbes, qui recommanderait le retrait des forces américaines d’Haïti.