Ressentiment envers Vincent par Jacques Stephen Alexis (1922-1961)

Un extrait de Compère Général Soleil (1955) d’Alexis. Alexis était un écrivain marxiste et un militant qui, comme beaucoup d’autres, s’indignaient de la manière dont le président Vincent avait réglé le massacre de la frontière avec Trujillo. Dans son roman, il présente Vincent et son successeur, Elie Lescot (nommé Jérôme Paturault), comme des corrompus sans moralité.
Le Conseil des ministres avait été orageux. Le Président Sténio Vincent était furieux. Il fulminait. Paturault   resté auprès de lui.

«  Tu comprends, Paturault, avec ces cochons-là, mon gouvernement aura tôt fait de devenir impopulaire… »

Paturault redressa la tête. Les choses étaient graves, plus graves qu’il ne le pensait. Le Président avait décidé quelque chose. Il avait eu le nez fin de trouver le moyen de rester avec le Président.
« Naturellement, vous avec fort bien pensé, Président, un changement ministériel calmera les esprits, mais… »

Paturault devint vert. Le Président ricana de son rire cascadant : « Tu es le seul auquel je le dis, aussi personne n’en saura rien. N’est-ce pas, mon cher futur ex-ministre ?... »
Paturault tremblait. L’homme était-il cynique au point de lui raconter tout cela et de vider avec les autres ?...

«  Ah ! Je me sens seul, Paturault, je me sens seul …Je ne suis pas secondé… Ils sont tous à la curée. Seul ! Tu te souviens, Jérôme du temps qu’on était au lycée Pétion ?... »

Paturault l’observait en dessous. Fini d’encaisser. Il fallait maintenant lui faire peur à son tour…
« Oui, c’était le bon temps ! Qui  aurait dit à ce moment-là que c’est moi qui m’occuperais un jour de votre correspondance secrète avec Trujillo ? »

Vincent ne broncha pas.