BookLes Réactions dominicaines après le massacre des Haïtiens de 1937 par Richard Lee Turits

Turits est professeur agrégé d’Histoire à l’Université de Michigan. Il est l’auteur de Foundations of Despotism: Peasants, the Trujillo Regime, and Modernity in the Dominican Republic /Les Bases du despotisme : les paysans, le régime de Trujillo et la modernité en République Dominicaine  (2003).

Entre le 2 et le 8 octobre 1937, les militaires dominicains tuèrent avec des machettes environ 15,000 migrants haïtiens et des Dominicains d’origine haïtienne qui avaient vécu dans la région frontalière au nord-ouest de la République Dominicaine pendant des décennies. Avec quelques exceptions, les travailleurs haïtiens dans les champs de canne localisés ailleurs ne furent pas ciblés. La frontière avait préalablement été caractérisée par des relations fluides entre les ethnies haïtiennes et dominicaines qui étaient pour la plupart constituées de paysans indépendants. La frontière avait été ouverte entre les deux nations de l’île sans restrictions migratoires. Ironiquement, le discours officiel avait été plutôt pro-Haïtien que contre depuis le début de la dictature brutale de Rafael Trujillo en 1930. Par conséquent, le massacre de 1937 sembla surgir de nulle part.

Le gouvernement dominicain anticipait des représailles armées d’Haïti. Femmes et enfants furent temporairement évacués des zones frontalières. Les militaires haïtiens cependant, ne firent rien pour défendre ou venger leurs compatriotes. En effet, d’abord le président haïtien Sténio Vincent interdit les discussions publiques autour du massacre et refusa que l’Eglise  offre des messes pour les défunts. L’unique réponse de son gouvernement fut de publier une déclaration conjointe avec le gouvernement dominicain le 15 octobre afin de diminuer la gravité des tueries : « Avec l’espoir que quelques incidents qui ont eu lieu à la frontière nord entre Dominicains et Haïtiens ne feront pas l’objet de commentaires exagérés et contraires à l’harmonie [des deux nations]… il est déclaré que les bonnes relations entre Haïti et la République Dominicaine n’ont pas été affectées de façon négative».



Face à l’accélération des pressions domestiques en Haïti – manifestations, grèves et finalement un coup d’état raté en décembre – Vincent finit par demander une investigation et une médiation internationales. Refusant de se soumettre à une enquête, Trujillo offrit plutôt une indemnité à Haïti. On peut seulement spéculer sur les raisons qui ont poussé Vincent à accepter si rapidement l’offre de 750,000 dollars américains (desquels seulement 525,000 furent payés) pour mettre fin à un arbitrage international.
Dans l’accord d’indemnité signé à Washington, D.C. le 31 janvier 1938, le gouvernement dominicain ne reconnut « aucune responsabilité d’aucune sorte » pour le massacre. En outre, dans une déclaration aux gouvernements qui furent témoins de l’accord, - Mexique, Cuba et les États-Unis – Trujillo souligna comment l’accord établissait de nouvelles lois limitant la migration entre Haïti et la République Dominicaine. « Plus qu’une indemnité…. [ceci] assurera le futur de la famille dominicaine et écartera … la seule menace qui plane sur le futur de nos enfants, qui est constituée par la pénétration, pacifique mais constante et têtue, des pires éléments haïtiens sur notre territoire. »

Dans l’accord d’indemnité, le régime de Trujillo défendit en effet le massacre comme une réponse à l’immigration illégale mythique d’Haïtiens considérés supposément comme indésirables. Trujillo par conséquent transforma ce qui aurait pu être un scandale international qui aurait pu faire tomber son régime en un élément fondateur pour légitimer l’Etat par un nationalisme anti-haïtien. Ce nationalisme légitimait et le massacre et la nouvelle politique migratoire fermée et très réglementée du gouvernement comme nécessaire pour protéger une communauté dominicaine définie ethniquement et linguistiquement, une que le massacre venait, au fait, de construire violemment elle-même.

En novembre 1937, Trujillo avait initié une enquête criminelle sur les « incidents » à la frontière, qui conduisit en mars à la condamnation de douzaines de civils dominicains contraints de confesser le meurtre de 423 Haïtiens. Ni ces procès ni l’accord avec Haïti, ne signalèrent cependant la fin de la terreur. Au printemps de 1938, Trujillo ordonna une nouvelle campagne contre les « Haïtiens », cette fois à la frontière Sud. En l’espace de plusieurs mois, des milliers furent forcés de s’enfuir et des centaines furent tués.

Les réactions au massacre parmi les Dominicains à la frontière nord étaient diverses. Leurs communautés avaient été dévastées par les tueries ou les fuites de la moitié de leurs populations, et en lieu et place des mouvements fréquents et libres entre Haïti et la République Dominicaine, ils faisaient face à une frontière fermée. De la perspective de plusieurs, le massacre de Trujillo paraissait une horreur inexplicable. D’autres, cependant, et surtout leurs progénitures, au fil du temps s’approprièrent l’anti-Haïtianisme séculaire de l’élite urbaine dominicaine et  finirent par croire que les tueries avaient restauré une vraie dominicanité à la frontière. Ceci s’enchevêtra avec le racisme anti-Haïtien croissant parmi les Dominicains ordinaires à travers le pays, alors que des nombres importants de migrants haïtiens  furent intégrés au bas échelon du marché du travail dans les décennies qui suivirent le massacre.