Le Panaméricanisme et l’Internationalisme par  Chantalle Verna

Verna est professeure adjointe d’Histoire et des Relations internationales à l’Université Internationale de la Floride. Elle publiera bientôt un livre sur les relations entre Haïti et les États-Unis intitulé The Uses of America/Les Usages de l’Amérique. 

En 1945, l’éducateur haïtien Max Gustave Chaumette décrivit Haïti comme « le berceau du Panaméricanisme » - le lieu de naissance des idées sur l’égalité des nations à travers les Amériques  (les Caraïbes, l’Amérique du nord, du sud et l’Amérique centrale), la promesse du respect mutuel et les bénéfices potentiels de la coopération économique et politique. C’était une déclaration audacieuse  parce que la plupart des gens de la région associaient le panaméricanisme avec le Venezuela ou les États-Unis,  étant donné que le révolutionnaire sud-américain Simón Bolívar et le Secrétaire d’Etat américain James G. Blaine avaient organisé respectivement le congrès très connu de Panama en 1826 et la Conférence des États Américains à Washington, D.C., en 1889. Haïti ne participa pas au Congrès de Panama car les peurs raciales de Bolívar ainsi que ses stratégies politiques le conduisirent à exclure formellement les Haïtiens de ses plans régionaux ; mais le président haïtien Florvil Hyppolite répondit positivement à l’invitation de Blaine en envoyant deux délégués  (Arthur Laforestrie et Hannibal Price) à la conférence de Washington. Cependant, la participation d’Haïti dans l’histoire du panaméricanisme et d’autres mouvements internationaux de rassemblement fut bien plus que celle d’une nation marginalisée et d’un humble participant ; et ce fut sur cette base que Chaumette et plusieurs autres politiciens haïtiens, éducateurs, écrivains et autres résidents urbains privilégiés valorisèrent l’impact d’Haïti pour une compréhension historique, contemporaine et future du panaméricanisme pendant les années 1930 et 1940.

À un certain moment après la Première Guerre mondiale (1914-1918) et pendant la Deuxième Guerre mondiale (1937-1945), lorsque le gouvernement américain s’investissait fortement dans la promotion des alliances interaméricaines pour s’établir au premier rang des affaires internationales et politiques, les élites haïtiennes qui savaient que leurs ancêtres avaient établi un exemple contre le colonialisme et l’esclavage dans la région, et adopté le principe de former des alliances en supportant les mouvements d’indépendance à travers la région, s’engagèrent  elles-mêmes à élever également le statut international d’Haïti.  Elles se référèrent souvent à la participation des gens  de couleur libres de l’Haïti coloniale (Saint Domingue) à la Bataille de Savannah pendant la guerre de Révolution américaine et la Révolution haïtienne comme les fondements sur lesquels les premiers dirigeants d’Haïti s’étaient engagés à assister les luttes révolutionnaires des autres dirigeants qui visaient l’indépendance du colonialisme européen, y compris Bolívar qui renia ces expressions de gratitude en se distançant politiquement d’Haïti.

Plus généralement, les efforts de l’élite haïtienne de débattre de l’inclusion d’Haïti à la communauté et à l’histoire du panaméricanisme contribuèrent à une culture de l’internationalisme qui commença à fleurir au cours de la période des guerres mondiales, alors que les dirigeants et citoyens des nations du monde étaient aux prises avec les modalités d’établir la paix politique, de promouvoir la prospérité économique et d’encourager l’amélioration culturelle de l’humanité. Les Haïtiens étaient les fondateurs et membres actifs des efforts d’organisation à travers la région et le monde, y compris  l‘Union des Républiques américaines (1890 ; renommée plus tard et dynamisée comme l’Union panaméricaine en 1910 et éventuellement l’Organisation des Etats américains, 1945-présent), la Ligue des Nations (1919-1946) et les Nations Unies (1945-présent). Ces organisations étaient formées pour institutionnaliser les aspirations culturelles, politiques et économiques de l’époque autour de la formation d’alliances internationales. Dans leurs observations publiées autour de la portée de ces organisations, les intellectuels haïtiens et des hommes d’Etat comme Etzer Vilaire, Jean-Price Mars et Alfred Nemours notèrent que la participation d’Haïti était une opportunité d’affirmer la capacité d’Haïti de contribuer à une alliance, non pas exclusivement aux bénéfices d’Haïti ou des individus d’origine africaine, mais pour toute l’humanité. Ecrivant spécifiquement au sujet de la création des Nations Unies (ONU), par exemple, Nemours souligna que par leur présence, les Haïtiens représentaient l’idéal que tous les membres de la race humaine devraient être reconnus comme égaux et que cette assemblée renforçait le poids d’une alliance internationale pour faire respecter ce principe.

En plus de promouvoir plus de connaissances sur Haïti et les principes qu’elle désirait défendre en son nom, l’élite haïtienne utilisa ses affiliations avec les organisations régionales et internationales pour promouvoir des résultats concrets tels que la négociation des accords commerciaux (voir ci-dessous le document de Vilaire et de Price-Mars) qui rehausserait la présence agricole et industrielle d’Haïti dans les marchés mondiaux ; le lobbying pour mettre fin à l’occupation militaire d’Haïti par les États-Unis ; la sécurisation d’une assistance pour négocier une réponse au massacre des Haïtiens en République Dominicaine en 1937 ; et pour solliciter des ressources financières et humaines pour des programmes éducationnels visant les résidents urbains et ruraux d’Haïti. Souvent, ces alliances internationales étaient basées sur l’identité nationale, mais les Haïtiens de l’élite contribuaient aussi à la montée de l’internationalisme basé sur des préoccupations autour de questions spécifiques, telles que la défense des droits des peuples d’origine africaine (les Congrès panafricains), des classes ouvrières (les Partis socialiste/communiste internationaux), des femmes (Les dames auxiliaires panaméricaines) ou en tant que professionnels et artistes littéraires (La société des professionnels et des hommes de lettres) pour faire face aux défis identifiés comme les plus pressants dans leurs vies, leurs communautés et ailleurs dans le monde.

Leur participation n’était pas toujours la bienvenue et leurs perspectives n’étaient pas toujours acceptées par la majorité, mais les Haïtiens qui s’engagèrent dans le panaméricanisme, et plus largement, l’internationalisme, continuèrent néanmoins de se faire entendre et restèrent prolifiques et actifs ; et en ce sens, ils démontrèrent  que l’engagement haïtien devrait être  vu comme digne d’être inclus, perçu comme une contribution, et devrait avoir l’opportunité de bénéficier du rassemblement des nations de la région et du monde.