La Conception de SHADA par Jean Casimir

Casimir est professeur à l’Université d’Etat d’Haïti. A un moment, il fut ambassadeur d’Haïti auprès des États-Unis et de l’OEA. Il a écrit de nombreux livres, tels que La Invención Caribe (1997), Ayiti Toma, Haïti chérie (2000) et Pa bliye 1804 (2004).
 

Le président Elie Lescot (1941-1946) reste jusqu’à date le réformateur incomparable des structures économiques du pays, celui qui a  presque réussi à accomplir le développement économique en accord avec le rôle donné à Haïti par les centres de décision mondiaux. Les motivations externes pour ce développement ne durèrent pas longtemps cependant et Lescot ne parvint pas à terminer son travail.

Au cours de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis se trouvèrent dans une position délicate par rapport à leurs fournisseurs traditionnels de l’Asie du Sud pour certains matériaux stratégiques bruts. Parallèlement, le président Lescot délimitait les zones agricoles d’Haïti qui seraient considérées comme zones stratégiques. Leur production devait être reconvertie pour satisfaire aux besoins urgents de la communauté internationale. En 1941, il prit les mesures nécessaires pour créer une entreprise agricole appelée SHADA, Société Haïtiano-Américaine d’Exploitation Agricole. La SHADA était lancée avec un prêt de la Banque Export—Import, en tant que compagnie dans laquelle le gouvernement haïtien participait. Elle bénéficiait du « monopole » (i.e. la concession) de cultiver le caoutchouc à exporter sur une période de 50 ans. Le Conseil de la SHADA était placé sous la direction du représentant de EXIMBANK qui, par hasard, était aussi un fonctionnaire du Département de l’Agriculture des États-Unis. Le terrain acquis par la SHADA couvrait un total de 58,400 hectares, pour la culture du caoutchouc, et 75,000 hectares pour l’exploitation du matériau de construction en bois. Gérald Tinous estima ce total de 133,400 hectares comme l’équivalent de 21.55 pourcent des terres agricoles du pays.

En outre, Reynolds Haitian Mines Inc « fut autorisé à choisir (à l’intérieur de zones sélectionnées par le gouvernement) un nombre de parcelles n’excédant pas 150,000 hectares en tout ».
Le gouvernement de Lescot facilita aussi le développement de certains projets initiés par les régimes précédents. Le « monopole » des exportations de bananes fut enlevé à la Standard Fruit Company et accordé à un parent de Lescot. À Henri Lescot, son fils, fut donné le « monopole » du commerce intérieur du sisal, certains privilèges dans la production des huiles essentielles, et avec son partenaire O. J. Brandt, le contrôle exclusif du marché du coton. Qu’il soit noté que le même Brandt produisait dans sa propre usine textile, 11 pourcent de la consommation nationale de textiles. Par ailleurs, il possédait une usine d’huiles végétales et de graisses animales.

Par conséquent, durant la Seconde Guerre mondiale, l’Etat utilisa tout son pouvoir politique pour moderniser et diversifier l’agriculture, et stimuler l’agro-industrie. Avec détermination et persévérance, les relations capitalistes furent introduites dans les campagnes. Ensemble avec ce développement stratégique agricole, le gouvernement de Lescot prit plusieurs mesures orientées vers la concentration du capital dans les activités commerciales. Les années de guerre furent l’âge d’or de la spéculation et du marché noir des produits de première nécessité. Le gouvernement établit, d’une part, des prix élevés et des marges supérieures de profits marchands et gela la location des maisons urbaines alors que, d’autre part, il continuait à accorder des « monopoles » aux parents et  amis proches du président.