Le Mouvement féministe par Myriam J.A. Chancy

Chancy est professeure d’Anglais à l’Université de Cincinnati. Elle est l’auteure de Framing Silence: Revolutionary Novels by Haitian Women/Encadrant le silence: romans révolutionnaires par des femmes haïtiennes (1997)et Safe Spaces: Afro-Caribbean Women Writers in Exile /Espaces sûrs : écrivaines afro-caribéennes en exil (1997).

Quoique les femmes aient toujours été impliquées dans des actes de résistance politique en Haïti depuis la période de la Révolution et ultérieurement, participant aussi bien à des luttes internes pour le pouvoir et l’émancipation telles que le mouvement des organisations de base de 1844 connu sous le nom de « la révolte des Piquets » conduite par Louise Nicolas, ce qui peut être véritablement appelé un mouvement féministe dans le sens moderne du terme commence sous l’occupation américaine de 1915 à 1934. Des commerçantes servaient d’insurgées, assistant le mouvement de guérilla contre les marines des États-Unis qui survint de l’autre côté de la frontière haïtiano-dominicaine en faisant passer en contrebande armes et renseignements. Alors que la brutalité des occupants envers les Haïtiens, et surtout les femmes de toutes les classes devenait évidente, des femmes de la classe moyenne et des classes aisées s’organisèrent pour dénoncer les violations des droits humains qui avaient lieu durant cette période. Des membres de cette classe participèrent au compte-rendu de ces violations dans un rapport fait en 1927 par La Ligue internationale des Femmes pour la Paix et la Liberté.

Comme conséquence de ces premiers efforts pour représenter politiquement les intérêts des femmes, en 1934, un plus vaste groupe de femmes concernées organisa  La Ligue Féminine d’Action Sociale. Les femmes rassemblées dans cette plate-forme se battaient pour des solutions à un nombre de problèmes sociaux inter-reliés. Elles fondèrent l’Association des Femmes Haïtiennes pour l’organisation du travail pour affronter les questions d’équité et de droits des femmes dans le lieu du travail en 1934, et une organisation pour travailler au nom des droits des enfants en 1939. L’organisation pour les droits des enfants visait une législation pour la protection des enfants et publia un journal intitulé  L’Aube. L’organisation travailla aussi sur la question de la pauvreté, créant un fond d’assistance sociale en 1939 avec le support de la sœur du président Sténio Vincent, Résia Vincent. Les deux plus grandes réalisations de la Ligue furent le passage des amendements constitutionnels qui validèrent et protégèrent les droits des enfants, et la promotion de l’unité par-delà les classes à travers le journal littéraire et politique  Voix des femmes. Lancé en 1935,  Voix des femmes  a la distinction d’être la première publication féministe de la Caraïbe.

Toutefois, la Ligue a été, avec raison, critiquée pour son élitisme (les évidences en sont nombreuses dans les pages de son journal), à l’image des mouvements suffragistes en Europe et en Amérique du Nord, elles ont souffert de l’incapacité de reconnaître leurs propres privilèges à l’intérieur de la lutte pour l’émancipation des femmes contre les éléments du patriarcat. Il n’en est pas moins vrai qu’elles croyaient que les droits qu’elles défendaient devraient être garantis pour toutes les femmes,  quelle que soit leur appartenance de classe ; elles prirent aussi part à des rencontres internationales de femmes et offrirent leur solidarité entre les pages de Voix à des mouvements de résistance internationale. Elles ont agi comme un pont entre le global et le local et ont réalisé quelques étapes remarquables pendant leurs années initiales d’activité : en 1934, elles ont fait pression pour une législation pour offrir un salaire minimum égal et trois semaines de congé de maternité payé aux femmes ; en 1943, leurs efforts ont permis l’ouverture du lycée de jeunes filles à Port-au-Prince ; en 1944, les filles étaient admises aux écoles traditionnellement réservées aux garçons de la région. À la campagne, la Ligue travailla pour accroître le taux d’alphabétisation et contribua à l’augmentation de l’alphabétisation fonctionnelle parmi la paysannerie. Toujours en 1944, les efforts de la Ligue pour faire reconnaître les droits politiques des femmes dans la Constitution permirent aux femmes d’avoir le droit d’être élues à des postes politiques, mais non de voter, ce qui provoqua une révolte estudiantine conduite par Léonie Madiou, qui fut blessée et arrêtée durant sa participation. Comme conséquence de la révolte, le droit d’éligibilité fut révoqué et le suffrage des femmes refusé, elles ne pourront exercer ce droit qu’en 1950. En dépit de son élitisme, les racines du féminisme haïtien peuvent être trouvées dans les premiers efforts de la Ligue ;  c’est vers ces racines que les femmes haïtiennes qui ont réorganisé l’agenda féministe d’Haïti dans les années 80 et 90 se sont retournées pour les re-conceptualiser et les élargir.