La Campagne antisuperstitieuse par Kate Ramsey

Ramsey est professeure adjointe à l’Université de Miami. Elle est l’auteure de The Spirits and the Law: Vodou and Power in Haïti /Les Esprits et la Loi: le Vodou et le Pouvoir en Haïti (2011).

De la fin des années 1920 jusqu’au début des années 40 fut une période de crise pour plusieurs pratiquants de la religion vodou à travers Haïti. La répression des pratiques populaires du rituel durant l’occupation américaine d’Haïti de 1915 à 1934 fut suivie en 1935 par le durcissement du régime pénal de l’Etat haïtien après l’occupation contre ce qui était devenu maintenant « les pratiques superstitieuses ». Puis, en 1940-42, cette nouvelle loi devint la base légale pour la plus sévère campagne à date de l’Eglise catholique contre le vodou, avec le support militaire initial du gouvernement d’Elie Lescot. Les manuels d’église distribués aux prêtres (en majorité français) à travers le pays déclaraient que « la campagne antisuperstitieuse » avait ses racines dans une vague de rejets populaires de la « superstition » commencée en 1939 dans et autour d’une paroisse au centre d’Haïti, avec des participants s’appelant eux-mêmes des « rejete » (« rejetés »). Cependant, les catéchismes imprimés dans ces manuels, de même que les compte -rendus de journaux,  les lettres personnelles, et autres sources suggèrent que la campagne de l’Eglise devait aussi être perçue comme un effort pour combattre la propagation et l’influence du protestantisme dans l’Haïti d’après l’occupation.

Ce fut alors que l’Eglise tenta d’étendre ses “missions antisuperstitieuses” à Port-au-Prince en février 1942  et  les controverses autour de la campagne s’intensifièrent. La presse haïtienne devint encore plus critique lorsque le nonce apostolique, Monseigneur Silvani, donna une interview au journal dominicain Listin Diario au cours du mois dans lequel il chantait les louanges de la modernité et du progrès de la République Dominicaine sous le régime de Rafael Leonidas Trujillo alors qu’il présentait Haïti comme un pays qui « à petits pas…se débarrassait de la superstition » à travers la « croisade » de l’Eglise (voir le lien).  Des troubles dans des églises à Port-au-Prince en février et mars 1942 furent le prétexte pour le retrait du support de l’Etat haïtien à la campagne qui, en réalité,  était déjà  chose faite ; la hiérarchie catholique en Haïti arrêta toutes « les missions antisuperstitieuses » peu de temps après.

Jacques Roumain – écrivain renommé, co-fondateur du Parti communiste haïtien (PCH) et, au sommet de la campagne antisuperstitieuse, fondateur du Bureau haïtien d’Ethnologie -,  fut le critique le plus prolifique et le plus reconnu de l’Eglise durant et après la campagne. En mars 1942, Roumain écrivit un article en trois parties dans Le Nouvelliste (le lien au premier est inclus ici) intitulé  Sur les superstitions  qui devint la base pour son  A propos de la campagne antisuperstitieuse / Las Supersticiones,  publié en français et en espagnol plus tard dans l’année.