La Révolution de 1946 par Matthew J. Smith

Smith est Maître de conférences au Département d’Histoire et d’Archéologie à l’Université de West Indies, à Mona, Jamaïque. Il est l’auteur de Red and Black in Haiti: Radicalism, Conflict, and Political Change, 1934-1957/Rouge et Noir en Haïti: radicalism, conflit et changement politique, 1934-1957 (2009)

De plusieurs façons, Haïti est entrée dans son ère politique moderne avec la révolution de 1946. Des conflits de couleur et de classe dans le pays se sont renforcés sous la direction  d’Elie Lescot qui succéda au président Sténio Vincent en 1941. Lescot régna d’une main ferme et comme Vincent, compta beaucoup sur la Garde d’Haïti (précédemment la Gendarmerie) pour rester au pouvoir. Malgré tout, il fut incapable de contenir les élans radicaux débridés par la victoire des forces alliées en 1945. De jeunes marxistes en Haïti s’étaient beaucoup inspirés de la Révolution russe, de la guerre civile espagnole, des marxistes français, d’André Breton et le mouvement surréaliste, et de la génération précédente de communistes haïtiens, particulièrement le poète marxiste renommé Jacques Roumain, dont la réputation et la légende s’amplifièrent après sa mort soudaine en 1944.

D’une vision révolutionnaire provocante, ces étudiants marxistes, qui incluaient les écrivains de talent Jacques Stephen Alexis, René Depestre et Gérald Bloncourt, n’étaient pas seulement troublés par l’abus de pouvoir politique de l’élite, mais aussi par l’interférence des États-Unis dans la politique et l’économie haïtiennes durant la Seconde Guerre mondiale. Dans l’édition de la nouvelle année 1946 de leur organe  La Ruche , ils demandèrent une réorientation dramatique des politiques haïtiennes et la fin de la dictature en Haïti. La fermeture forcée de la presse provoqua une protestation massive d’étudiants menée par les membres du groupe de  La Ruche . Dans l’espace de quelques jours,  la protestation des étudiants prit la proportion d’une grève nationale. Un Lescot impuissant fut contraint de démissionner.

À la suite de la « Révolution de 1946 », Haïti connut une période d’activités radicales intenses. Pour la première fois dans l’histoire du pays, il y eut une explosion de journaux radicaux et des douzaines de partis politiques virent le jour, y compris des partis à dominance de gauche. Parmi eux, le Parti Communiste Haïtien revigoré (PCH) et le Parti Socialiste Populaire (PSP). Le PSP était conduit par des anciens alliés de Roumain et avait des liens plus forts avec les groupes marxistes de Cuba, de la République Dominicaine et des États-Unis.

Mais c’étaient les groupes noiristes qui avaient la plus grande influence en 1946. Le radicalisme noiriste devait beaucoup à l’expansion de la prise de conscience noire dans les années 40 et le développement tardif du mouvement des travailleurs en 1946.

La figure majeure du mouvement syndical et de l’ère pré-Duvalier était indubitablement Daniel Fignolé. Un jeune professeur de mathématiques et écrivain d’un milieu rural pauvre, Fignolé était un orateur remarquablement talentueux avec un charisme phénoménal parmi la majorité urbaine de Port-au-Prince. L’émergence de Fignolé sur la scène politique en 1946 fut attribuée à son habileté unique à toucher les préoccupations de la majorité des Haïtiens dans des discours impressionnants prononcés en créole.

Les écrivains noiristes considéraient Fignolé comme l’incarnation de leurs espoirs et ses nombreux fanatiques le regardaient comme un sauveur face à la domination politique de la bourgeoisie. Le parti de Fignolé, le Mouvement ouvrier et paysan (MOP) formé en 1946 devint la plus grande organisation ouvrière dans l’histoire haïtienne. En dépit du magnétisme de Fignolé, et l’agenda radical des marxistes, les États-Unis et la Garde d’Haïti demeurèrent les éléments les plus influents en 1946. Sous la direction de la Garde, les élections eurent lieu le 16  août et résultèrent dans la victoire de Dumarsais Estimé, un député de Verrettes avec des sympathies noiristes. L’administration de quatre ans d’Estimé prouva être une des plus progressistes du 20ème siècle.