Le Mouvement syndical haïtien par Michel Hector

Hector est le président de la Société Haïtienne d’Histoire et de Géographie. Il a écrit et édité de nombreux livres, tels que Syndicalisme et socialisme en Haïti, 1932-1970 (1989), Crises et mouvements populaires en Haïti (2000), et Genèse de l'Etat haïtien (2013).

A partir de l’installation du nouveau gouvernement d’Estimé, en août 1946, le mouvement syndical se renforce considérablement par comparaison à la situation qui prévalait durant la gestion de la Junte Militaire. Les tentatives d’organisation se généralisent. Les luttes se multiplient. Les partis politiques liés aux intérêts prolétariens déploient une grande activité dans le monde ouvrier. C’est sous ce gouvernement qu’est créé un Bureau du Travail destiné spécifiquement à la résolution des conflits. En outre, diverses lois sont publiées qui règlementent l’activité syndicale, les grèves, la sécurité sociale, etc. Il s’agit donc d’un véritable essor, le premier que vit le mouvement ouvrier haïtien.

Trois associations fédératives d’organisations syndicales apparaissent au cours de cette période. Ce sont : la Fédération des Travailleurs Haïtiens (FTH), fortement influencée par les courants socialistes; une organisation appelée Syndicats d’Ouvriers et de Travailleurs (SOT) qui rassemble les formations syndicales d’orientation fignoliste; et un groupe de syndicats indépendants, la seule fédération de l’époque qui  aspire à réunir les travailleurs sur une base professionnelle. Par son orientation unitaire, cette dernière se situe de fait plus près de la Fédération des Travailleurs Haïtiens que du regroupement de Syndicats d’Ouvriers et de Travailleurs. Bien que n’arrivant pas à mettre sur pied une fédération syndicale propre, la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC) qui, comme le Parti Social Chrétien fondé au cours de ces années, tente d’établir de façon organisée la présence de l’Eglise catholique dans la classe ouvrière, doit être également mentionnée pour son action.

Ces trois groupements jouissent d’une influence inégale. Le courant fignoliste bénéficie d’un rayonnement qui dépasse sans aucun doute le cadre des syndicats qui lui sont directement affiliés. Par son grand ascendant sur les couches populaires de Port-au-Prince et des environs, il pénètre profondément dans le prolétariat de la capitale. Ses positions, apparemment socialisantes mais au fond anti-communistes, contribuent à confondre et à diviser les forces ouvrières. Cependant, dans les conditions du moment, ce courant se situe nettement dans le camp des forces démocratiques. Quant à la FTH, si elle n’atteint pas, et de loin, l’influence politique du fignolisme, elle se révèle néanmoins, sur le plan syndical, l’organisation qui se rapproche le plus des intérêts démocratiques de l’ensemble du prolétariat.