L’Exil d’Estimé par Katherine Dunham (1909-2006)

Un extrait de Island Possessed/Ile possédée (1969) de Dunham. Dunham était une anthropologue qui intégra la culture haïtienne dans sa propre danse. Elle était une bonne amie du président Estimé et fut bouleversée d’apprendre qu’il avait été renversé.

Jusqu’à présent, ne sachant rien du nouveau président, Paul Magloire, je choisis de le voir comme un usurpateur. L’exil forcé d’Estimé  a été le début rude et amer de ma déception en ce qui concerne l’état et l’idéologie politique. Dans l’avion en provenance de Kingston, quand je ne pleurais pas sur l’épaule d’Ann, j’essayais d’ajuster mes idées sur Haïti et de voir un pays à la lumière de ses réalités historiques. Dans le cas d’Haïti il s’agissait de révolution permanente, de suspicion constante entre les groupes de couleur, d’expériences d’invasion traumatisantes, et d’esclavage, et une classe gouvernante qui réclamait beaucoup plus qu’elle ne méritait en termes de développement intellectuel, social et politique. Ce qui se passait en Haïti alors était ce qui s’était toujours passé. Je n’étais tout simplement pas prête.

En satisfaisant mes propres besoins, en vivant avec les gens, les paysans qui, comme je l’ai toujours senti, sont les vrais habitants d’Haïti, j’avais négligé ce qui aurait pu me préparer à ce que je devais apprendre du pays des années plus tard. A la fin, j’ai décidé que mon malaise était sans fondement, qu’il résultait davantage du fait que j’avais à peine récupéré de mon appendicectomie que du choc de mes dernières rencontres avec Estimé et du soulèvement politique qui l’avait renversé.