La Culture de ‘l’âge d’or’ d’Haïti  par Lyonel Paquin                                       

Un extrait de The Haitians: Class and Color Politics /Les Haïtiens : classe et politiques de couleur (1983) de Paquin. Paquin était  diplomate, homme d’affaires et historien. Ci-dessous, il explique comment Magloire régissait  une culture exclusive et florissante,  appréciée des élites politiques pendant le boom économique des années 50.

Magloire était branché. La république de Port-au-Prince se balançait donc à son rythme. Sous son règne, le club le plus exclusif, influent et hermétique était le « Club des amis du président Magloire ». Son quartier-général était sur la route de Carrefour, à Mahotières.  C’était une grande propriété ombragée, assez ordinaire, avec une piscine, une grange banale et un bar. C’était là que « les amis » (en français dans le texte) se réunissaient chaque samedi ou dimanche après-midi.

Un samedi après-midi typique comprenait des boissons à profusion, de la bonne nourriture et un peu de conversation. Il était de rigueur que tout le monde apparaisse détendu et gai parce que le président y venait pour se détendre et être gai. Le signe suprême d’appartenance était d’être assez proche du président pour l’appeler par son prénom. On ne pouvait l’appeler « Paul » qu’à Mahotières. Tout le monde savait bien quel type de blagues il aimait. Il aimait taquiner les gens sur des rumeurs autour des femmes. Magloire n’était pas vilain. Il n’aimait pas faire souffrir les gens. Il détestait les conversations profondes ou les insinuations malveillantes. Il était si gentil qu’on pouvait se demander comment il a pu survivre parmi cette meute de vipères.

Mais, attention, sa cordialité n’était que superficielle. Le président, entre les blagues, ponctuées par les rires exagérés de son entourage,  ferait un clin d’œil à quelqu’un pour signaler un bref tête-à-tête. C’était le plus grand honneur qu’il pouvait accorder à un mortel. Quelque chose de bien en sortirait immanquablement – une position à une ambassade, des concessions, des secrets d’Etat, et ainsi de suite. La foule continuait de paraître indifférente, mais alors que les lèvres continuaient d’articuler des pensées désorganisées, les oreilles et les yeux essayaient d’espionner sur le sens de cet « aparté » (en français dans le texte).