Les Femmes et le Vote par  Grace Sanders

Sanders est  doctorante au Département d’Histoire à l’Université de Michigan. Sa thèse porte sur le mouvement féministe en Haïti.

À la fin de l’Occupation américaine en 1934, les femmes haïtiennes étaient parmi les nombreux citoyens qui voulaient façonner le futur d’Haïti. Quoique les femmes aient contribué de manière essentielle à l’économie nationale et à la culture en tant que vendeuses dans les marchés, travailleuses domestiques, agronomes, artistes, dirigeantes  spirituelles et éducatrices, elles n’avaient pas le droit de vote.

En 1934, un groupe de femmes de l’élite et de la classe moyenne s’engagèrent dans la lutte pour les droits des femmes en fondant l’organisation féministe La Ligue Féminine d’Action Sociale (LFAS). Dirigées par Madeleine Sylvain Bouchereau et Alice Garoute, les membres de la LFAS soutenaient que le futur de la nation dépendait de l’égalité des sexes. Ceci signifiait améliorer  l’éducation des femmes, étendre les droits civils et demander le suffrage universel. En 1936, les membres de la LFAS défendirent les changements dans la législation relatifs aux salaires pour les femmes mariées. Quoique les femmes mariées n’aient été autorisées à garder leurs propres salaires qu’en 1944, la législation souleva des débats passionnés sur les rôles changeants des femmes dans la société haïtienne et la politique. En tant que leaders de la campagne suffragiste, les membres de la LFAS encouragèrent ces changements et les considérèrent comme des améliorations pour les femmes et la nation. Cependant, les hommes et les femmes ayant adopté les normes patriarcales soutenaient que les femmes étaient inférieures aux hommes et par conséquent n’étaient qualifiées ni pour la politique ni pour le vote.

En 1946, les arguments contre le suffrage des femmes devinrent particulièrement agressifs. Au cours de l’Assemblée constituante de cette année, les sénateurs Emile St-Lot et Castel Démesmin maintinrent que les femmes haïtiennes ne devraient pas être autorisées à voter parce qu’elles étaient « toutes des prostituées », des « mauvaises mères » et des pions du clergé catholique étranger. Déçues par les attaques contre la sexualité et la maternité des femmes haïtiennes, Alice Garoute et les autres suffragettes sortirent en protestation de l’Assemblée au milieu du débat. Dans les jours suivant l’assemblée, les membres de la LFAS, Cléante Desgraves Valcin, Madeleine Sylvain Bouchereau, Alice Garoute, Yvonne Hakime Rimpel, et Marie-Thérèse Pointevien canalisèrent leurs frustrations  dans une série d’essais intitulée "La Femme Haïtienne répond aux attaques formulées contre elle à l’Assemblée Constituante." Parmi leurs doléances contre certains membres de l’Assemblée constituante, elles regrettèrent l’ironie des attaques contre la réputation des femmes haïtiennes, compte tenu du fait que les femmes organisaient souvent les affaires de la maison pendant qu’elles travaillaient hors du foyer pour répondre aux besoins économiques, sociaux et politiques de leurs familles et de leurs communautés.

L’opposition au suffrage des femmes était considérable, mais les femmes ne se découragèrent pas. La détermination des suffragettes fut renforcée par le support des alliés dans des partis politiques et autres organisations de femmes y compris l’Association des Femmes Haïtiennes pour l’Organisation du Travail, les Amis de la Maison, le Foyer Ouvrier, le Comité d’Action Féminine, le Parti Populaire Chrétien et le Parti Socialiste Populaire. Les femmes haïtiennes obtinrent aussi le support de groupes internationaux comme la Commission Interaméricaine de Femmes de l’Union Panaméricaine, la Ligue Internationale des Femmes pour la Paix et pour la Liberté, le Conseil National des Femmes Noires et les Nations Unies. En avril 1950, les membres de la LFAS démontrèrent la force de la campagne suffragiste en organisant le Premier Congrès National des Femmes Haïtiennes. Plus de 500 déléguées au congrès issues de quarante-trois organisations de femmes haïtiennes et dix-sept organisations internationales participèrent au Congrès. Cette manifestation de support présageait le succès ultime du mouvement suffragiste. Le 4 novembre 1950, les femmes haïtiennes  obtinrent le droit de vote à toutes les élections locales et nationales.