Les Nombreux Obstacles à l’Éducation par Marc E. Prou

Prou est professeur agrégé  d’Etudes africaines et haïtiennes à l’Université de Massachusetts, à Boston. Il a fait de nombreux travaux sur l’éducation et le créole haïtien.

Après l’indépendance d’Haïti en 1804, les pères fondateurs promirent une éducation gratuite et obligatoire à tous les citoyens. C’était un engagement extraordinaire envers les droits universels. Cette promesse, cependant, n’a pas été réalisée. Tout le monde est d’accord que l’éducation en Haïti nécessite une réforme drastique. Mais les obstacles  qui entravent le changement sont nombeux

Le système éducatif d’Haïti est divisé entre les secteurs public et privé. La prolifération des écoles non régulées, publiques, privées et confessionnelles, plusieurs connues sous l’appellation « écoles borlettes », est un grand obstacle à une politique unique pour améliorer l’éducation. Plusieurs d’entre elles fonctionnent illégalement et ne respectent pas les normes de base établies par le Ministère de l’Education Nationale (MENJS).

Le manque de supervision fiable de la part des administrateurs régionaux et locaux aggrave cet obstacle. Les élèves qui n’obtiennent pas de bonnes notes dans les écoles publiques et privées sont sans recours ni possibilité d’intervention pour améliorer les conditions. En Haïti, l’éducation est un marché ouvert, dans lequel les parents peuvent choisir d’inscrire leurs enfants dans une école privée ou ailleurs. Les écoles sont comme des magasins où les parents achètent ce qu’ils veulent. S’ils peuvent choisir librement, leurs options sont limitées par les prix. Plusieurs des meilleures écoles secondaires en Haïti sont des institutions privées où les frais de scolarité varient de 3,000$ à 6,000$ l’année, sans mentionner les frais d’inscription, les livres et les uniformes. Elles sont pour le profit, ce qui est une tendance croissante.

En Haïti, les écoles imposent aux élèves de longues heures de bourrage de crâne fatigant et de mémorisation à outrance. Elles leur donnent beaucoup  de devoirs et les font participer à des jeux peu  créatifs. Le trajet d’un étudiant est ardu et un cauchemar permanent. Les taux d’abandon pour les élèves à l’école primaire sont élevés. Selon les estimations qui datent du milieu des années 1980, plus de la moitié des élèves des écoles primaires urbaines d’Haïti abandonnaient avant de compléter le cycle de six ans. Dans les régions rurales, le taux d’abandon était de 80 pourcent. Les taux d’abandon ou de redoublement dans les régions rurales étaient si élevés que trois sur cinq élèves étaient des élèves de la première ou de la deuxième année.

Un autre grand obstacle à l’éducation à tous les niveaux est le manque d’enseignants qualifiés, recevant des salaires minimes, tant dans les écoles publiques que privées. Les salaires des enseignants dans les écoles privées sont les plus bas. Et les taux d’attrition sont très élevés. Mais ce qui compte le plus est que la plupart des enseignants et des administrateurs ne reçoivent ni estime ni salaire décent. Il y a aussi très peu de prise de responsabilité. Un diplôme avancé n’est pas requis pour enseigner. Et les programmes de formation des enseignants ont des normes d’un niveau inférieur. Quand un enseignant est incompétent, il incombe à l’administrateur de s’en occuper. Les Haïtiens aiment parler de compétition quand il s’agit d’éducation. Mais étant donné l’emblème national d’Haïti, « L’union fait la force », il est difficile de trouver une idée plus non-haïtienne. Néanmoins, il peut y avoir quelque mérite. À l’heure actuelle, la politique éducative n’est pas menée par la compétition entre les enseignants ou entre les écoles. Il n’y a pas de liste des meilleures écoles ou des meilleurs enseignants en Haïti.

Une autre question controversée est la langue. Enseigner en créole ou en français a été un débat important. Quand au début des années 1980, le ministre de l’Education, Joseph Bernard introduisit sa « réforme Bernard » faisant du créole la langue officielle d’instruction dans les écoles primaires, plusieurs éducateurs et parents s’y opposèrent. Plusieurs écoles rurales et urbaines continuent d’utiliser les manuels écrits en français même lorsque le créole est parlé. La constitution de 1987 a reconnu et le créole et le français comme des langues officielles. Mais le français a gardé son statut supérieur. Par conséquent, la plupart des écoles privées et publiques veulent que leurs élèves maîtrisent le français. Parallèlement, il y a trop d’emphase sur les études classiques et les humanités, au détriment de la science et de la technologie. Néanmoins, les écoles secondaires sont meilleures. Et un élève bien préparé par une école secondaire est généralement qualifié pour être admis à une université privée ou publique ou une institution d’enseignement secondaire à l’étranger.

Compte tenu de ces obstacles, nous devrions essayer de centrer la politique éducative davantage sur l’élève. Chaque élève devrait avoir exactement la même opportunité pour apprendre. Notre but ne devrait pas être de créer des vedettes intellectuelles, mais de résoudre le problème de l’inégalité, parce que c’est le premier obstacle à l’opportunité en Haïti.