Les Femmes et Duvalier par Jennifer Garçon

Garçon est  doctorante au  Département d’Histoire à l’Université de Miami. Sa thèse portera sur le genre dans l’histoire haïtienne.

Durant l’ère des Duvalier (1957-1986), les femmes devinrent les cibles de la répression d’Etat. Traditionnellement, les femmes avaient été définies comme « des filles et des épouses dépendantes ». Et par conséquent, comme l’auteure Carolle Charles l’a expliqué, les femmes étaient partiellement protégées de la violence d’Etat parce qu’elles étaient exclues de la politique. Au cours des élections présidentielles de 1957, cependant, les femmes avaient le plein droit de vote. Le 7 août 1957, un mois avant les élections, les hommes de main du candidat François Duvalier attaquèrent le Bureau Politique des Femmes de son rival Louis Déjoie. Cet acte inaugural de terreur démontrait de quelle manière spectaculaire le rôle politique des femmes avait changé.

Duvalier réorganisa complètement les structures existantes de pouvoir en y faisant entrer de nouvelles formes de violence systématique. Des villes entières, des équipes de football et des réseaux de parenté furent sujets à ce que Michel-Rolph Trouillot a décrit comme une forme de violence « totalisante ». En outre, cette violence avait une composante distincte de genre car les hommes de main de Duvalier employaient souvent le viol comme torture, le viol commis par une connaissance, et le mariage forcé pour faire taire l’opposition des femmes. Le régime de Duvalier employa la violence sexuelle et l’humiliation comme arme d’intimidation contre l’opposition politique.

Le 5 janvier 1958, l’activiste féministe et journaliste opposée à Duvalier, Yvonne Hakime-Rimpel fut battue, violée et torturée après avoir été enlevée de sa maison par des Tontons Macoutes, le groupe paramilitaire personnel de Duvalier. Son corps ensanglanté fut trouvé plus tard jeté dans une rue déserte. Quelque temps après, elle retira publiquement ses dénonciations antérieures du régime de Duvalier et arrêta la publication de son journal féministe Escale. Sous Duvalier, la formidable croissance atteinte par les organisations féminines à partir de la fin de l’occupation américaine en 1934 disparut.

Simultanément, Duvalier intégra des femmes dans sa machine politique en tant qu’instruments de violence. Les femmes participaient à l’appareil de terreur duvaliériste comme membres des Fillettes Laleau, une organisation sœur des Tontons Macoutes. Promettant une mobilité économique et sociale, Duvalier recruta des femmes pauvres et de la classe laborieuse pour les Fillettes de façon agressive. Des milliers de femmes opprimées et surchargées de travail joignirent l’association dans l’espoir d’obtenir plus de pouvoir pour elles-mêmes et de la  protection pour leurs familles. Comme résultat, l’abus des femmes par les femmes était courant.

Entretemps, « le féminisme d’Etat » de Duvalier récupéra le mouvement féministe. À sa place, Duvalier produisit deux catégories de femmes : les femmes patriotes dont la loyauté était en tout premier lieu envers Duvalier et les femmes non patriotes dont l’opposition à Duvalier faisait d’elles à la fois des contre nature et des ennemis de l’Etat. Comme Trouillot l’expliqua dans son livre  State against Nation/L’Etat contre la Nation, le régime de Duvalier brisa les solidarités traditionnelles de la société civile et de la famille, rendant essentiel le fait qu’un « bon Duvaliériste doit être prêt à sacrifier sa propre mère.  »