Duvalier et l’Eglise catholique par Robert I. Rotberg

Rotberg est président émérite de la Fondation pour la paix mondiale. Précédemment, il dirigeait le programme de l’Université de Harvard sur les conflits entre états (Harvard University Kennedy School Program on Interstate Conflict).  Il a écrit et édité de nombreux ouvrages sur l’Afrique et Haïti, tels que Haiti: The Politics of Squalor /Haïti : la Politique de la misère (1971) et Haiti Renewed /Haïti renouvelé(1997).

Duvalier, qui avait humilié la presse, émasculé le parlement et le corps judiciaire, et avait déshonoré l’armée, réserva ses armes les plus puissantes pour l’Eglise catholique, la seule institution locale encore debout capable d’une opposition significative. Dans d’autres pays latino-américains, l’Eglise a joué un rôle important dans le renversement des dictateurs. Haïti était un pays catholique romain et, en théorie, la vaste majorité de ses habitants, et presque toute l’élite urbaine, étaient des adhérents. Sa hiérarchie était largement d’origine française et avait supporté Déjoie ;  elle était aussi réputée pour son conservatisme, la lenteur avec laquelle elle promouvait le clergé indigène (en dépit du fait qu’il y avait un évêque haïtien), et son hostilité envers l’école folklorique dont Duvalier était un membre éminent.

En août 1959, sa police arrêta et expulsa le recteur français de la plus grande école secondaire catholique romaine et un prêtre populaire d’une petite ville, Français également. Lorsqu’environ un millier de fidèles se rassemblèrent à la cathédrale Notre Dame de Port-au-Prince pour les prêtres, [Clément] Barbot et des troupes équipées de mitraillettes M-3 les emmenèrent, blessant plusieurs dans le processus. L’archevêque François Poirier et les autres évêques locaux dénoncèrent immédiatement l’action du président, et un mandat pour l’arrestation de l’archevêque d’origine française fut suspendu, apparemment après un avertissement du Vatican.

C’est seulement en 1960 que Duvalier se sentit suffisamment confiant pour compléter son attaque contre l’Eglise : Poirier fut déporté après un bref avis et partit sans argent ni bagage. Rémy Augustin, l’évêque haïtien, nommé pour agir au nom de Poirier et qui, selon le régime, était un « élément servile  du symbole de l’indigénisation» fut arrêté et expulsé ; au début de 1961,  dix prêtres français et canadiens furent déportés et, en dépit d’une déclaration de la Congrégation Sacrée Pontificale que n’importe qui ayant à voir avec l’expulsion d’un archevêque ou d’évêques serait automatiquement excommunié Latae Sententiae, l’évêque Paul Samson Jean-Marie Robert des Gonaïves, qui avait servi trente-neuf ans en Haïti, fut chassé de son diocèse avec son curé haïtien. L’entrepôt de l’Eglise aux Gonaïves et des églises ailleurs dans le pays furent pillés et le nonce apostolique fut rappelé.

En même temps, Duvalier remplit les paroisses avec ses propres supporteurs, souvent avec des hommes “dont la personnalité et même la moralité n’étaient pas sans reproche ». En 1961, il alla même jusqu’à organiser une célébration inaugurale audacieuse et une messe Te Deum pour sa personne dans la cathédrale de la capitale.