Noirisme après Papa Doc par Georges Anglade (1944-2010)

Un extrait de Les Pièges de l’histoire d’Anglade, (traduit en anglais par Anne Pease McConnell). Anglade était un écrivain et un critique farouche de la dictature des Duvalier. Dans sa nouvelle, il montre comment plusieurs noiristes devinrent moins radicaux dans les années 70 et 80.

Le pas était le même, quoique plus lent, la taille large n’avait pas trop épaissi, la silhouette trapue et surtout la guayabera blanche immaculée ne pouvaient pas tromper, même de dos. Il s’agissait bien du Cher Docteur, l’idéologue inspiré de la question de couleur qui avait contribué aux changements de 1946 et avait participé de près à la prise du pouvoir par François Duvalier en 1957. Il se promenait sur un large trottoir de Canapé-Vert, à Port-au-Prince, en route vers le marchand de  glaces du coin, entouré de quatre petits-enfants, dont les deux plus jeunes qu’il tenait par la main. Tout ce petit monde piaillait et jacassait avec des accents du Québec, dans une confusion joyeuse entrecoupé de « Grand-père ! Grand-père ! »

C’était un théoricien de choc du « noirisme » et un polémiste redoutable. Vingt ans de traque pour démontrer que la dynamique nationale haïtienne sur deux siècles était essentiellement celle d’une lutte acharnée entre noirs et mulâtres…

La  glace dégoulinait des petites mains qui avaient du mal à tenir droit les cornets. Le mouchoir du grand-père allait d’une frimousse à l’autre pour enlever ici un peu de chocolat, là  un peu de vanille.  Il avait pu regrouper son petit monde autour de lui pour le retour d’expédition. C’est ce moment que je choisis pour l’aborder. Il me reconnut aussitôt. Chaleureusement. Et dans un éclat de rire de bon cœur qui remplaçait mille mots, il me présenta d’abord les deux petits blonds comme étant ses petits-enfants, fils d’un premier mariage de son gendre du Saguenay et les deux petites mulâtresses comme les filles de son fils cadet.