Le Massacre des cochons d’Haïti par Gerald Murray

Murray est professeur émérite d’Anthropologie à l’Université de Floride. Il a écrit de nombreux travaux sur les paysans haïtiens et l’environnement.

À travers les campagnes haïtiennes, le  robuste cochon créole, capable de faire les poubelles et de survivre, est devenu une arme essentielle à la stratégie de survie économique du foyer paysan. Un fort pourcentage des récoltes est traditionnellement vendu à cette fin.

Une part de l’argent est immédiatement dépensée, mais une grande partie est gardée pour les jours difficiles – maladie, dépenses funéraires, mariages, etc. Et un objectif traditionnel important était l’accumulation d’argent permettant l’achat de plus de terres si et quand elles devenaient soudainement disponibles. Mais  on  ne garde pas du liquide sous une natte. Le cochon servait de banque en ce sens. Peu de cochons étaient élevés pour la consommation familiale, excepté à l’occasion de certains rituels. La plupart des cochons étaient élevés comme une source d’épargne qui pouvait être aisément mobilisée en cas de besoins. Comme l’économie agraire déclinait, deux choses arrivèrent au cochon. D’abord son importance économique relative augmenta. Avec la déforestation, l’érosion du sol, et la diminution des précipitations, le risque de l’échec agricole augmenta. La dépendance relative du foyer rural sur les revenus liés à l’élevage se renforça. Ensuite, la vente des cochons fut utilisée de plus en plus comme un moyen d’émanciper les enfants en les envoyant à l’école avec l’espoir qu’ils pourraient qualifier pour un emploi urbain.

À la fin des années 70, on estima qu’il y avait 1.2 millions de cochons en Haïti. Mais c’est alors que survint la catastrophe sous la forme de la grippe porcine africaine (ASF) qui d’abord fit son entrée en Haïti en 1978 via la République Dominicaine voisine. De grands nombres de cochons périrent. En 1981, un consortium puissant d’institutions étrangères (FAO, OEZ, BID et trois gouvernements y compris celui des États-Unis) convainquirent le gouvernement haïtien (1) de tuer tous les cochons en Haïti, (2) de compenser les fermiers, et (3) de fournir de nouveaux cochons. La première action fut accomplie totalement, de manière très prévisible, les deux autres s’accomplirent seulement de manière sporadique.

Certains disent que l’épidémie était une fiction et que le carnage n’était pas justifié. Ceci est questionnable, alors que 400,000 cochons furent tués, un nombre aussi grand que 600,000 semble être mort de la grippe porcine. Deux choses cependant doivent être mises en cause. (1) Les porcins étrangers choisis soigneusement comme remplacements étaient d’un stock  diversifié et d’une haute qualité génétique. Mais les exigences d’enclos spéciaux, de nourriture commercialisée à acheter, et de services vétérinaires réguliers, les rendaient mal adaptés aux conditions économiques prédominant dans les campagnes haïtiennes. Un fermier haïtien s’en est plaint en ces termes : « Le cochon étranger vit dans une meilleure maison et mange de la meilleure nourriture que nous. » (2) Quoique les cochons aient été tués, ni la compensation ni la repopulation porcine ne se passa comme prévu et promis. L’argent de l’ USAID était géré par le IICA, une branche de l’OEA. De sérieux efforts furent déployés pour arriver à une distribution équitable. Mais il était plus facile de tuer les cochons créoles que de programmer une distribution équitable des ressources qui devaient suivre. Finalement, les élites furent les bénéficiaires. Bienvenue en Haïti.

Lors du massacre des cochons de 1981, $100 millions étaient en jeu. Trente ans plus tard, dans l’Haïti d’après le séisme, le dilemme des institutions dysfonctionnelles et prédatrices persiste. Maintenant la grande ligue des prédateurs sont les ONG étrangères, non pas le gouvernement haïtien. Et maintenant il y a des milliards qui attendent d’être investis. Ou détournés.