Haïti et la communauté internationale par Josh DeWind

DeWind est directeur du Programme de Migration du Conseil de recherches en sciences sociales (Social Science Research Council). David Kinley et lui ont coécrit Aiding Migration: The Impact of International Development Assistance on Haiti /Aide à la Migration: l’impact de l’aide au développement international sur Haïti (1989). DeWind a aussi co-edité Rethinking Migration: New Theoretical and Empirical Perspectives /Re-penser la Migration: nouvelles perspectives théoriques et empiriques (2008).

En 1981, lorsque le dictateur Jean-Claude (“Baby Doc”) Duvalier était encore président d’Haïti, les agences financières et de développement international, réunies sous les auspices de la Banque Mondiale formulèrent une stratégie de développement axée sur les exportations et déterminée à transformer les politiques et la société haïtiennes.

Auparavant, l’agriculture et l’industrie d’Haïti fabriquaient des produits pour la consommation locale, mais la nouvelle approche était conçue pour attirer les travailleurs haïtiens dans les usines urbaines et les industries agro-alimentaires dont les produits devraient être vendus à l’étranger, principalement aux États-Unis. Avec les salaires de la production pour l’exportation, on s’attendait à ce que les travailleurs haïtiens achètent des aliments, des vêtements et d’autres produits venus de l’étranger. Les investissements étrangers en partenariat avec les entrepreneurs haïtiens augmenteraient l’emploi, renforceraient la classe moyenne, et donneraient aux nouveaux dirigeants la motivation et les moyens de mettre en place des réformes politiques et d’instituer une gouvernance démocratique effective.

Cette stratégie de développement était consistante avec le changement de l’assistance internationale gouvernementale en assistance axée sur les entreprises privées qui commença avec l’Initiative du bassin des Caraïbes (instituée sous la présidence de Ronald Reagan) qui s’agrandit largement dans l’Accord de Libre Echange Nord-Américain (NAFTA), et s’étendit mondialement à travers la libéralisation et la restructuration de l’investissement économique, de la production et du commerce du « Consensus de Washington ».

La croissance basée sur l’exportation a dominé comme stratégie de développement d’Haïti jusqu’à aujourd’hui et sous-tend la reconstruction post séisme et les politiques de développement des agences internationales et du gouvernement haïtien. Mais, pour atteindre les bénéfices du développement axé sur l’exportation dans les marchés mondiaux, des petites nations comme Haïti doivent profiter de leur « avantage comparatif », ce qui dans le cas d’Haïti a surtout été sa force de travail relativement bon marché, résultat d’une pauvreté chronique. Cette stratégie de dépendance  de la main d’œuvre à bon marché crée un paradoxe central : alors que l’augmentation des emplois et des salaires est la base pour sortir les travailleurs haïtiens et leurs familles de la pauvreté, augmenter de plus en plus les salaires n’encourage pas les investisseurs étrangers à contracter les firmes d’assemblage haïtiennes ou à investir dans les entreprises agricoles. Pris entre deux feux, le gouvernement n’a pu ni apaiser les réclamations des employeurs ni défendre les demandes des travailleurs. De telles contradictions structurales ont frustré la volonté des politiciens qui pourraient chercher à utiliser le gouvernement pour améliorer le bien-être collectif d’Haïti et ont également perpétué le chaos et l’inefficience de la compétition entre les dirigeants individuels qui, pour trop longtemps, se sont battus pour défendre les intérêts personnels de petites factions.

Le produit national brut par habitant d’Haïti a décliné de manière constante depuis les années 1980. Rendue encore plus difficile par la destruction des infrastructures publiques et privées par le  séisme récent, la conséquence inattendue du développement axé sur les exportations a été la perpétuation de la pauvreté en Haïti.