Tilegliz et la Théologie de la libération par Terry Rey

Rey est professeur agrégé de Religion à Temple University. Il est l’auteur de Our Lady of Class Struggle: The Cult of the Virgin Mary in Haiti / Notre Dame de la lutte de classes: le culte de la Vierge Marie en Haïti (1999) et co-auteur de Churches and Charity in the Immigrant City: Religion, Immigration, and Civic Engagement in Miami / Eglises et charités dans la ville immigrante : religion, immigration et engagement civile à Miami (2009).

Bien qu’elle soit plus communément associée à l’Amérique centrale et au Brésil, la théologie de la libération n’a pas eu de plus grand impact concret ailleurs qu’en Haïti, où elle contribua de façon significative au renversement d’un dictateur brutal et à l’élection d’un prêtre catholique libéral,  son leader le plus charismatique, à la présidence nationale.

La théologie de la libération envahit l’Eglise catholique en Amérique latine dans les années 1970 et 1980, faisant croire aux croyants du Chili au Mexique que le Christianisme devait exercer une « option préférentielle pour les pauvres » et combattre la pauvreté et les injustices souffertes par les masses. Les catholiques laïcs organisèrent des « communautés d’église de base » pour ancrer l’Eglise dans leurs mondes matériels et pour la transformer en un puissant instrument de changement social et politique. Haïti joignit le mouvement en 1974, quand sa première communauté d’église de base, ou communauté Tilegliz, fut établie dans le village du nord appelé Mont Organisé.  En moins de dix ans, il y avait plus de 5000 groupes similaires à  travers le pays et l’Eglise catholique haïtienne, qui depuis longtemps avait été l’allié politique des élites, devint le plus grand défenseur des pauvres dans le pays.

Le plus souvent les réunions de Tilegliz commencent par des prières et des hymnes, suivis par des lectures et réflexions sur leur pertinence pour la lutte du peuple, le tout le plus souvent sans la présence d’un prêtre catholique. Les valeurs à base de foi du mouvement – le lettrisme, la démocratie, les droits humains et la dignité – furent embrassées par plusieurs leaders religieux catholiques, comme Père Pollux Byas, qui est reconnu comme ayant établi le terme « tilegliz » (petite église en créole haïtien), et Monseigneur Willy Romélus, évêque de Jérémie. Ces valeurs, de même que les dénonciations des abus des droits humains pratiqués par l’armée et autres agents de la dictature de Duvalier, comme les redoutables Tontons Macoutes, furent diffusées à travers Haïti par la radio, surtout par la station en langue créole de l’Eglise, Radio Soleil.

A cause de cette rancœur justifiée, les membres de Tilegliz et les théologiens de la libération furent ciblés pour élimination par le régime Duvalier, qui ferma Radio Soleil en 1985. Cela   ne réussit pas, cependant, étant donné que l’année suivante Duvalier fut expulsé du pouvoir, et cinq ans plus tard, le Père Jean-Bertrand Aristide fut élu président avec une majorité écrasante du vote populaire.

Tilegliz et la théologie de la libération se sont largement effacés de la vie religieuse haïtienne au cours des dernières années, ayant été supplantées dans l’Eglise catholique par le renouveau charismatique, décidément moins politique, un mouvement Pentecôtiste massif dans sa forme catholique. Cependant, l’héritage de Tilegliz perdure, et, pour ses efforts, l’Eglise catholique en Haïti est maintenant plus véritablement « le peuple de Dieu » que jamais auparavant, et  sur ce point, on ne peut pas faire marche arrière.