Le Dixième Département  par Michel S. Laguerre

Laguerre est professeur et directeur du Berkeley Center for Globalization and Information Technology à l’Université de Californie à Berkeley. Il est l’auteur de Diasporic Citizenship: Haitian Americans in Transnational America /Citoyenneté diasporique : les Haïtiano-Américains en Amérique transnationale (1998) et Diaspora, Politics, and Globalization /Diaspora, politique et globalisation (2006).

Le dixième département fut conçu, entre 1986 et 2003, comme un territoire diasporique d’outre-mer symbolique de la République d’Haïti. Jusqu’à 1962, Haïti était divisé en 5 départements (Artibonite, Nord, Nord-Ouest, Ouest et le Sud).  Au cours de cette année, le pays fut reparti en neuf départements (Artibonite, Centre, Grand’Anse, Nord, Nord-Est, Nord-Ouest, Ouest, Sud et Sud-Est). Après la chute du régime kleptocratique dictatorial de Duvalier en 1986, le concept du dixième département fut utilisé de façon populaire par des officiels du gouvernement, des leaders politiques de la diaspora et des analystes universitaires pour faire référence à la diaspora pour refléter la contribution de ses membres dans la refondation de la nation (la nation transfrontalière) et la restructuration de l’Etat (l’Etat élargi). Après que le département des Nippes, fondé à partir du département de la Grand’Anse, soit devenu en 2003 un département territorial intramuros additionnel et officiel du pays (Artibonite, Centre, Grand’Anse, Nippes, Nord, Nord-Est, Nord-Ouest, Sud-Est et Sud), l’emploi du 10ème département pour faire référence à la diaspora haïtienne est lentement passé aux oubliettes. Jusqu’à présent, il n’y a pas eu de tentative de rebaptiser la diaspora comme 11ème département.

La pratique de faire référence à la diaspora comme étant une unité démographique de l’Etat n’est pas spécifique à Haïti. D’autres pays ont développé une stratégie similaire pour la même raison, c’est-à-dire, pour redéfinir la nation comme incluant sa diaspora –  la transformant ainsi en une cosmo nation – et pour reconnaître les contributions de la diaspora à la formation des accomplissements et destinées de la patrie. Dans ce contexte, on peut comprendre pourquoi la diaspora française est vue comme la « 27ème région de la France », la diaspora polonaise comme la « 4ème province de la Pologne, » et la diaspora chilienne comme la « 14ème région  du Chili. » L’identification de la diaspora en tant que région, département ou province crée un éventuel problème de re-nomination si le pays décide de redéfinir les frontières de ses unités électorales par le biais de redécoupage administratif, comme on l’a vu dans le cas d’Haïti. Cependant, définir ou identifier la diaspora comme étant une circonscription de l’Etat (la « 11ème circonscription électorale ») comme l’a fait la Croatie est une façon pratique de résoudre ce problème éventuel de redondance.